Depuis toujours le désert a nourri l’imaginaire collectif et individuel en communiquant aussi bien avec la conscience de l’homme qu’avec son inconscient. Des tensions, des désirs, des angoisses se sont cristallisés autour du désert, lequel a connu les sentiments humains les plus contradictoires. Celui qui en fait l’expérience instaure avec ce lieu un rapport essentiellement intime et subjectif d’où vient, par consé quent, une perception ambiguë de l’espace, en tant que lieu redouté ou, au contraire, lieu recherché , mê me ardemment désiré . Lieu du paradoxe le désert est en même temps lieu d’isolement et de rencontre de l’autre, lieu de mort qui porte en soi les idées de persévérance et de vie. Le dé sert s’oppose au monde civilisé et rationnel, tout en offrant au regard humain la connaissance de la nature originelle, infinie et pure, qui s’é tend au-delà de l’horizon du visible. Un lieu-non lieu qui échappe au processus mental par lequel l’homme tend à cataloguer, c’est-à-dire à donner un ordre à la réalité qui l’entoure et qui conduit Lévy Strauss vers la dé finition d’une «science du concret», pour traduire ce besoin humain de donner un sens à tout. Cependant l’image du désert ne se laisse pas capturer dans les catégories d’espace et de temps, tout en se préservant comme la dimension qui se situe au milieu de plusieurs lieux du passé et du présent, comme lieu de l’absence où le manque de points de repères logiques engendre un processus de désagrégation et de réévaluation du moi.
Cette étude se propose de tracer un parcours à travers l’analyse d’un désert mental et littéraire, réel et intériorisé. Il s’agit de comprendre une modalité de perception de l’espace du désert à travers l’expression artistique, notamment l’écriture de deux écrivains tels que E. Fromentin et A. de Saint-Exupé ry. Premièrement nous allons aborder la question de la perception du désert en tant que paysage et par conséquent sa cristallisation en images transformant la réalité géographique des lieux. Le désert sera donc analysé en relation à la culture occidentale en tant que son même contrepoint ou bien en tant que terme de référence pour la définition de l’identité collective. Ensuite on abordera le cas d’une repré sentation ré elle du dé sert, vu comme un té moignage d’une expé rience empathique. Loin de l’approche exotique cristallisante au Sahara des premiers voyageurs, la vision de Fromentin dans Un été dans le Sahara nous offre l’extraordinaire expérience d’é merveillement face à un Orient méconnu. A travers la comparaison avec deux œuvres emblématiques de Saint-Exupéry, Terre des Hommes et Citadelle, on assistera à une évolution coïncidant avec un mouvement de translation envers une mé ditation plus gé né rale sur l’homme. En effet, tout en le dé crivant comme un lieu ré sistant et dur, Saint-Exupé ry fait un é loge du désert en l’é levant et en le reconnaissant comme un espace révélateur du moi. La mise en relation d’un désert réel et matériel et d’un autre intériorisé, nous permettra de partager la conviction commune aux deux auteurs qu’il s’agit d’un espace de recherche aussi bien du moi et que de l’autre, laquelle sort de toute vision stéréotypé e, en nous conduisant dans une réflexion sur l’homme et sur le sens de la vie.
Le désert est présent dans la pensée occidentale depuis toujours; ses racines s’enfoncent dans le mystère même de la création. Lieu essentiellement symbolique, il acquiert du sens dans la mesure où il devient un ailleurs représentant une altérité collective qui, par contre, rend à celui qui s’en approche une image de soi bien définie. Le désert, tout en s’imposant comme espace mythique parcouru par des pulsions contradictoires qui fondent nature et histoire ensemble, est devenu avec le temps une dimension encombrée de signes aux valeurs les plus différentes. La vision occidentale bâtie sur un imaginaire culturel, associe le désert, voire l’identifie, à un lieu exotique stéréotypé où règne une atmosphère magique, presque irréelle. Beaucoup plus complexes sont les mécanismes à l’origine des associations d’idées par rapport au désert; les pierres, le sable, les étendues de sel ont un ordre de proportions bouleversant pour celui qui en fait l’expérience et se soumet à une durée prolongée de la perception même, celle-ci étant amplifiée par le temps du parcours, qui engendre une intensification des émotions jusqu’au paroxysme.
Cependant dans la littérature le désert n’est pas toujours vécu réellement, mais il est souvent un espace recréé, devient lieu signifié transformant et intégrant l’espace réel; il devient au fur et à mesure un espace neutre, objectif, existant en soi et toujours en rapport avec un sujet et avec les filtres perceptifs de la culture. Très souvent les paysages et les éléments du désert sont liés aux états d’âme grâce à un processus inévitable de projection dynamique des pulsions individuelles dans l’espace. Celles-ci se reflètent avec une telle force qu’elles arrivent à «anthropomorphiser» les formes du paysage désertique, d’où des éléments tels que la lumière, le vent, le sable, non seulement transforment le paysage dans sa morphologie même, mais ils l’imprègnent d’un sens autre qui jaillit des impulsions émotives. L’écriture de son côté est à l’origine d’un processus de création d’un espace ordonné, contrôlé dans une structure complexe dans laquelle toutes les composantes restituent la valeur du désert. Il existe une psychologie de l’espace qui étudie la manière dont l’individu interagit avec l’espace et y vit; l’homme oscille entre deux différentes modalités d’interaction, à savoir, d’un côté, dans l’espace il rationalise, mesure, calcule, de l’autre côté, il l’investit d’une subjectivité et, en le vivant, lui confère des qualités humaines. De là l’individu recrée, réorganise l’espace subjectivement, ce qui explique comment un lieu déterminé peut devenir un paysage intérieur, filtré de l’imaginaire de celui qui y habite. Dans l’écriture on assiste à un processus de projection dynamique par laquelle l’espace n’est jamais décrit d’une façon neutre, mais plutôt suivi du regard de celui qui le perçoit et le raconte. L’influence de la pensée bachelardienne est indéniable, celle-ci considérant l’espace au-delà d’une conception purement géométrique et objective, c’est-à-dire un espace «natif», lieu originel de la mémoire de l’individu:
On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout paysage est une expérience onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu’on a d’abord vus en rêve. [1]
En définitive l’espace, bien avant d’être le contexte de déroulement de l’existence, est la matière que l’individu s’approprie et le lieu où il établit son territoire d’action. Dans cette perspective il n’est plus pur ni neutre, mais il existe forcément en rapport à un sujet qui l’occupe, d’où : “l’organisation de notre espace résulte de l’image que nous nous en faisons”. [2] L’espace n’est plus pur et simple fond ni un milieu passif et statique, mais il devient, comme l’observe Teilhard de Chardin :
Espace aimanté, plein de pôles d’attraction, d’appels lointains, de magiques influences. Univers où tout est en voie de réconciliation, de confluence, de communion, où les choses sont enveloppées d’intimité. Espace non délimité , axé sur le mystère, ouvert et comme trouvé sur ses origines et sur son devenir. [3]
D’ailleurs la vision du réel ne peut pas être séparée de la subjectivité et de l’intersubjectivité; l’homme n’est pas simplement dans l’espace et dans le temps, mais il les habite; c’est pourquoi l’être devient un synonyme d’«être situé» . Dans ce sens Sartre nous rappelle qu’il faut considérer l’homme en situation; c’est en établissant un lien subjectif avec ce qui l’entoure que l’homme donne un sens à son existence, dans la mesure où il trouve dans l’espace un mode d’expression de soi-même, de sa pensée, de sa vie. L’espace devient ainsi la condition existentielle de l’homme, matière primaire de son existence.
A ce propos la réflexion de Heidegger nous aide à comprendre la manière dont l’homme habite dans l’espace, l’englobe, le fait vivre. Il s’agit d’un processus dont la fonction est celle de combler un vide; par celui-ci l’individu valorise un espace qui se présente amorphe et dépourvu de sens. Ce n’est pas un processus automatique et indépendant, mais il présuppose un manque, une distance. Selon Bachelard cette condition engendre le besoin – le désir – du voyage, vu comme occasion permettant de délinéer des parcours, réels ou bien imaginaires qu’ils soient. Le voyage est alors recherche d’authenticité, redécouverte d’un lien intérieur avec la réalité. Celui qui choisit de partir désire s’écarter d’une réalité dont il ne reconnaît plus la valeur, à cause du filtre des apparences et du connu. Le voyageur interagit avec un espace encore à maîtriser et à délimiter. Bachelard, Durand et d’autres ont compris l’importance et la valeur existentielle de l’espace dans la littérature, où il ne se réduit pas à l’espace simplement représenté, mais il est avant tout le résultat d’une expérience subjective. La relation entre espace et littérature dé passe la pure description des personnages et du milieu; elle est plutôt la possibilité offerte par le texte de laisser parler l’espace. Lire un roman sur le désert est une expérience différente de celle du désert réel. Aussi bien l’espace de l’écriture que l’espace perçu par les sens intéressent la vue. La littérature nous projette dans un espace fictif qui alimente l’immense catégorie de l’espace imaginaire. La critique littéraire s’est pour longtemps opposée à ce qui ne pouvait pas rentrer dans une idée de « décorativité » qui est propre de la description. Une fois surmontée la vision de l’espace comme pur décor, la pensée moderne a avancé la conviction que l’espace est la matière même dont il se constitue, point de la rencontre de la matière et de la pensée, du tangible et de l’invisible. Voilà comment le concept d’espace est réévalué et valorisé .
En ce qui concerne l’espace désertique, il est indéniable qu’il s’est imposé dans notre imaginaire contemporain. En parcourant certaines périodes fondamentales de notre histoire, nous pouvons noter comment le désert a toujours été une image renversée de la civilisation. Si l’on pense au désert dans une perspective historique, il en résulte que la littérature le choisit comme lieu pour redéfinir la réalité. J.-R. Henry note que le désert est explicitement nécessaire à notre civilisation, tout en constituant le contrepoint obligé; il le justifie en retrouvant dans la littérature de tout temps la présence constante d’une confrontation entre l’homme et le désert:
Que signifie ce retour au désert, sinon que le désert est une idée qui nous est nécessaire, qu’il est - de façon permanente ou périodique un recours dont notre imaginaire ne peut se passer, car il est essentiel à la perception que nous avons de notre existence ? En reprenant la vieille opposition nature/culture, on considérera ici que l’idée du désert est le contrepoint obligé de celle de civilisation. [4]
La présence du désert dans la culture occidentale et nord-africaine est constante, tout en assumant des formes différentes en relation au moment historique. Dans cette perspective l’analyse de l’image du désert assume son importance au fur et à mesure que la civilisation change et se transforme. En effet l’image du désert au Moyen Age est très différente de celle romantique. Les textes sacrés des trois religions monothéistes provenant justement du désert, par exemple, introduisent à une première compréhension de l’énorme potentiel de ce lieu. Avant d’être un espace connu et exploré, l’espace est celui qui existe bien avant la création. La terre déserte de la tradition judaïque-chrétienne est l’espace extrême du néant. Dans les contes mythiques de la création de l’homme des cultures hébraïque, chrétienne et islamique, le désert s’oppose à la présence de l’homme. Le désert biblique est dépourvu de descriptions du paysage; le peu d’éléments du milieu est chargé d’une valeur symbolique. Il s’agit d’un espace privilégié qui permet de mourir dans ce monde et de purifier son âme à travers des épreuves telles que la douleur, la solitude, qui favorisent la prière et la méditation. M. Roux observe :
Cette mort symbolique correspond à un détachement d’abord sur le plan physique: il implique alors le retrait du monde des humains, mais aussi le dépouillement de tous les biens qui peuvent être autant de liens. Mais c’est aussi un détachement moral, la recherche d’un silence intérieur pour pouvoir écouter Dieu. [5]
Pour cette raison le désert est un espace d’élection où réaliser la fuga mundi c’est-à-dire n’importe quel type de rupture avec la réalité. Espace à explorer dans la solitude d’une recherche plutôt intérieure; celle-ci est l’image dominante jusqu’à quand dans les écrits littéraires du XVIII siècle on assiste à la description d’un désert nouveau et plaisant. L’époque des Lumières inaugure une nouvelle sensibilité à l’égard de la nature, laquelle devient plus mûre avec le Romantisme. La terre est le lieu des voyages aventureux qui révèlent des paysages charmants et suggestifs. A la suite des événements historiques tels que les campagnes napoléoniennes en Egypte ou encore la prise d’Alger en 1830, le désert enfonce ses racines dans la réalité géographique et commence à être connu. En France la mode de l’exotisme oriental dans la littérature de XIX siècle trouve sa justification dans un besoin commun d’évasion. La conquête française de l’Algérie et du Nord-Afrique inaugure la littérature coloniale des écrits des missionnaires. Nous pouvons distinguer au début du XIX siècle une littérature saharienne proprement dite, dans laquelle le désert est le lieu privilégié par des écrivains illustres tels que Balzac avec Une passion dans le désert (1832), Fromentin avec ses deux romans Un été dans le Sahara (18579 et Une année dans le Sahel (1859) et encore Loti avec Le désert (1895). Ce genre de littérature diffuse des images d’un désert sauvage, pur et absolu; il présente un lieu fascinant qui s’oppose au monde occidental, où l’expérience de la solitude se glisse souvent derrière le masque de l’aventure et des oasis de paix.
Topos récurrent est la traversée du désert à sa conquête; l’aventure coloniale est également marquée par des traces douloureuses. Souvent les histoires dont les protagonistes sont des héros sahariens se teignent d’un ton critique envers le monde moderne: c’est le cas des romans d’E. Psichari, ceux d’A. de Saint-Exupéry, de Th. Monod et d’I. Eberhardt. Il existe aussi un modèle plus intimiste du roman saharien dans lequel l’image abstraite du désert s’enrichit de descriptions physiques et surtout de sensations provenant du contact direct avec les lieux. La quête conduite loin du monde civilisé va de plus en plus pénétrant l’altérité humaine qui dialogue avec la sensorialité du paysage. Cette nouvelle sensibilité est pleine dans les romans d’A. Gide Les nourritures terrestres (1934) et Noces (1938), ainsi que dans L’exil et le Royaume d’A. Camus. Les deux auteurs ouvrent la route de l’émerveillement face à la nature, ce que Fromentin va appeler « appétit sensuel » .
L’amour et la fascination de Fromentin envers l’Orient, le désert et le peuple arabe se manifeste d’abord dans la peinture et puis dans l’écriture. C’est dans la fidèle reproduction de l’espace et des coutumes arabes que Fromentin se distingue des autres, du moment qu’il se libère des clichés et des vérités abstraites qui obnubilaient l’esprit de la plupart des voyageurs savants de son époque. Sa rencontre avec l’Orient est marquée par la constatation d’une limite; en se sentant trahi de la peinture, il choisit l’écriture animé “par le désir impatient de le reproduire, n’importe comment, n’importe à quel prix”. [6] Tout en recherchant dans son œuvre d’art le sentiment d’unicité et de nécessité qui jaillit de la première impression, Fromentin ne peut que constater un insuccès. Son excessive attention aux procédés techniques finit par suffoquer son goût de peindre; en revanche, l’écriture lui offre l’occasion de garder le mouvement et l’exacte inflexion de l’émotion créatrice. Cela nous fait comprendre pourquoi Fromentin est l’auteur d’un seul roman (Dominique) et de plusieurs écrits de voyage (Un été dans le Sahara, Un année dans le Sahel, Voyage en Egypte). Dans ces derniers il nous présente sa vision du désert, celle d’un voyageur qui le parcourt en long et en large en savourant chaque étape de son itinéraire vers El-Aghouat, là où il retrouve “deux choses que je brûle de revoir: le ciel sans nuages, au dessous du désert sans ombre”; ou encore pendant les mois en Algérie “pour essayer du chez moi dans cette terre étrangè re […] dans cette terre d’adoption”.
Dans les tableaux de Fromentin «les pays ensoleillés» constituent un paysage récurrent, ils démontrent une véritable passion, une attraction qui dépasse les limites rationnelles, qui ne se pose aucun interrogatif, mais qui se nourrit de peintures “autres”. Fromentin trouve son inspiration dans les tableaux de Delacroix, de Decamps et de Marilhat, à cette époque les orientalistes plus en vogue. D’abord il se limite à les imiter dans une représentation fidèle qui fait confiance à un regard qui perce un monde inconnu et qui l’accepte tel quel. Son regard se nourrit d’autres regards et son interprétation de l’Orient se nourrit d’images pittoresques rebattues. C’est à ce moment là que notre auteur commence à alimenter sa prédilection envers le lieu qui sera son véritable atelier: l’Algérie, qu’il connaît pour la première fois en 1846, accompagné par l’ami Du Mesnil et le peintre Labbé. La terre d’Algérie lui apparaît comme un vrai exemple de beauté idéale qui correspond à ses plus intimes aspirations. C’est sa terre d’adoption où il vivra pour quelque temps et dont le paysage s’offre comme la réponse à toute son insatisfaction, à tous ses besoins d’esprit. C’est encore le lieu où Fromentin donne libre cours à son inspiration, abandonnant ses modèles artistiques. Il commence à peindre l’Orient dans toute sa vérité , à savoir son altérité : “Tout est nouveau pour moi, tout m’intéresse et plus j’étudie cette nature plus je crois que malgré Marilhat et Decamps, l’Orient reste encore à faire”. [7] Cette nouvelle perspective transparaît aussi bien dans les pages de ses souvenirs de voyage que dans sa peinture; c’est pourquoi Th. Gautier le compte parmi les plus grands paysagistes exotiques. Après un deuxième voyage en Algérie en 1847, Fromentin y retourne une dernière fois en février 1853. Maintenant seule l’écriture lui permet d’exprimer l’esprit de ce lieu connu et aimé, ce qui le pousse à confesser: “l’insuffisance de mon métier, me conseilla, comme expédient, d’en chercher un autre, et que la difficulté de peindre avec le pinceau me fit essayer de la plume”. [8] Cela a signifié pouvoir révéler le beau après l’avoir élagué des détails qui couvraient la « vérité d’élection». A ce moment-là le pouvoir de la parole fait profit des moyens de la peinture; alors que les images du désert offrent la possibilité de découvrir les caractéristiques communes des deux formes d’expression. Passer à l’écriture ne signifie pas abandonner définitivement la peinture, celle-ci étant le point de départ d’un travail complexe d’intériorisation et de mémoire. Ainsi l’explique A.-M. Christin:
[…] que tout se vît sans offusquer la vue, sans blesser le goût […] souvent que l’émotion tient lieu de l’image. En un mot sa pensée constante, je le répète, était que sa plume n’eût pas trop l’air d’un pinceau chargé d’huile et que sa palette n’é laboussât pas trop souvent son écritoire. [9]
L’intention de Fromentin est de traduire des images surprenantes, fruit de sentiments réellement vécus; il ne s’agit pas tout simplement de restituer ce qu’il voit, mais au contraire de réveiller la capacité de fascination en face à un lieu incantatoire et suggestif tel que le désert. C’est la mémoire qui maintenant le guide dans son travail; l’espace de la toile ne suffit plus pour contenir le flux débordant d’images qui retentissent dans son esprit. De plus, les couleurs entrent dans un conflit qui ne lui permet plus d’exprimer l’émotion au moment même où elle naît. L’écriture lui donne la liberté : “et c’est cette liberté qui sauve en lui toute la fraîcheur de ses impressions. Plume à la main il s’accorde de redevenir lui-même”. [10]
Un été dans le Sahara paraît en 1856 dans la « Revue de Paris »; il s’agit d’un recueil de notes, ainsi que d’ébauches faits pendant ses voyages dans la terre d’Afrique, sous la forme épistolaire adressée à l’ami du Mesnil. Aucun orientalisme conventionnel, aucune aventure esthétique ne détournent le regard de Fromentin voyageur, fasciné seulement de la “nudité” de son itinéraire (l’auteur le déclare lui-même dans la préface). De ce paysage, il nous restitue une mosaïque de couleurs dans laquelle se concentre toute sa merveille. Son regard attentif est désireux d’accueillir l’exceptionnelle originalité d’un pays et d’un peuple. Loin du folklore de la littérature coloniale, il impose une écriture du dehors, du voyage envers l’ailleurs et l’autre. Voilà comment il incite à aborder l’espace du désert : “Lasse-toi conduire à petits pas jusqu’à l’entrée du désert. C’est une émotion qui perdrait à n’être pas attendue”. [11] Et encore, à la lumière du midi, voici l’image qu’il en donne:
c’est aussi l’heure, je l’avais remarqué dès le jour de mon arrivé, où le désert se transforme en un plaine obscure. Le soleil, suspendu à son centre, l’inscrit dans un cercle de lumière dont les rayons égaux le frappent en plein dans tous les sens et partout à la fois. Ce n’est plus ni de la clarté de l’ombre; la perspective indiquée par les couleurs fuyantes cesse à peu près de mesurer les distances; tout se couvre d’un ton brun, prolongé sans rayures, sans mélanges; ce sont quinze ou vingt lieues d’un pays uniforme et plat comme un plancher. Il semble que le plus petit objet saillant y devrait apparaî tre, pourtant on n’y dé couvre rien; mê me, on ne saurait plus dire où il ya a du sable, de la terre, ou des parties pierreuses, et l’immobilité de cette mer solide devient alors plus frappante que jamais. On se demande […] quel peut être ce pays silencieux, revêtu d’un ton douteux qui semble la couleur du vide[…] Tout le désert m’apparaissant ainsi sous toutes ses formes, dans toutes ses beautés et dans tous ses emblèmes, c’était, pour la première, une étonnante vision. [12]
Fromentin décrit aussi des moments de paralysie et de silence dans le désert quand la vérité du visible montre un tout diffusé dans lequel se confondent les couleurs, les formes, les gestes. C’est la vision d’un lieu illisible, d’un pays qui se présente en tant qu’énigme à déchiffrer. Le dé ert et le ciel se reflètent comme dans un miroir et deviennent ensemble une « pure étendue anomique » . Tout d’un coup l’altérité du désert lentement devient représentation en même temps de tout et de rien. Dans une étendue pure où toute forme finit par perdre ses contours et par laisser le champ à la dé -configuration, tout est à l’enseigne d’une « inquié tante é trangeté » . Chez Fromentin le dé sert est perç u comme un espace d’indiffé renciation empê chant toute tentative de connaissance, d’interpré tation. Ici on assiste à la dé maté rialisation de toute chose et à la perte de tout repè re; il arrive que le voyageur se heurte à un court-circuit des caté gories qui ordonnent sa relation au monde; cette fascination l’empê che de penser un discours univoque sur le dé sert et de stabiliser son regard. Il n’existe aucun parcours dé jà tracé , palpable, mais plutô t des routes encore à tracer et à dé finir d’une faç on absolument subjective. Le vide dont le voyageur est entouré s’offre in absentia à quelle projection imaginaire qu’elle soit. Ce dont dé pend une « esthé tique de la disparition» [13] ou comme la dé finit Christin une « exaltation spatiale d’un né ant» . Fromentin subit l’attrait immédiat d’un espace qui apparaît multiforme et fuyant, indéfini et irréductible à toute stéréotype. Renversant l’image d’un désert liéà l’absence, au vide et à la mort, il recouvre un pays vif, animé de sons et de couleurs. Chaque élément retrouve sa vérité à travers le filtre d’une nouvelle sensibilité; même le silence est conçu comme dimension dominante nécessaire à la compréhension des lieux du désert et des messages qu’ils suggèrent :
l’un des charmes les plus subtils de ce pays solitaire et vide. Il communique à l’âme un équilibre que tu ne connais pas, toi qui as toujours vécu dans le tumulte, loin de l’accabler il la dispose aux pensées légères; on croit qu’il représente l’absence de bruit comme l’obscurité résulte de l’absence de lumière: c’est une erreur. [14]
Le silence manifeste tout le pouvoir révé lateur du désert et introduit dans une dimension étrangère de la réalité ; il oblige le voyageur à repenser l’espace en fonction du vide et de l’absence. Dans les écrits de Fromentin, le silence offre une vision exaltante de la « déterritorialisation » qui caractérise la rencontre avec l’altérité. Cela trouve une confirmation dans l’analogie de la vue et de l’ouïe, qui transfère la déconfiguration de l’espace au sein de la conscience perceptive de l’individu, grâce à un « immense dérèglement de tous les sens » . Cet aspect assume une plus profonde signification dans la mesure où le sujet, ici, fond la disposition de l’écrivain à celle du peintre. On assiste chez Fromentin à un exemple de perception plurivalente qui concerne l’être dans sa totalité, à savoir sa corporéité et son esprit. Cela signifie pour Fromentin:
comparer les sensations de l’oreille à celles de la vue, le silence répandu sur le grands espaces est plutôt une sorte de transparence aérienne qui rend les perception plus claires, nous ouvre le monde ignoré des infiniment petits bruits, et nous révèle une étendue d’inexprimables jouissances. [15]
Cette recherche de perfectionnement des sens favorise une disposition et une ouverture majeures. Le voyage dans le désert ne correspond pas seulement à un déplacement physique, mais surtout à une extraordinaire expérience émotionnelle qui pour Fromentin est à l’origine de sa vocation de peintre :
c’est sur les hauteurs, le plus souvent au pied de la tour de l’est, en face de cet énorme horizon libre de toutes parts, sans obstacles pour la vue, dominant tout, de l’est àl’ouest, du sud au nord, montagnes, ville, oasis et désert, que je passe mes meilleures heures, celles qui seront un jour pour moi les plus regrettables. J’y suis le matin, j’y suis à midi, j’y retourne le soir […] à cette heure-là, le pays tout entier est rose, d’un rose vif, avec des fonds fleur de pêcher; la ville est criblé de points d’ombre, et quelques petits marabouts blancs, répandus sur la lisière des palmiers, brillent assez gaiement dans cette morne campagne qui semble, pendant un court moment de fraîcheur, sourire au soleil levant. [16]
Cette immense et plate étendue est l’espace idéal pour l’implication de toute sensation: l’infinitude du paysage stimule celui qui la regarde et, en lui provoquant une sorte de pathos euphorique, l’appelle à l’ouverture. L’image du désert que nous donne Fromentin n’est pas monolithique, mais plutôt dans une constante mutation, aussi bien que sa propre dimension intérieure dont la nature devient le reflet. Parcourir les dunes du dé sert signifie ré gresser à un é tat originel de nudité et de simplicité . L’anecdote de la tasse de café que le vieux Caïd lui offre en est la démonstration: dans cette tasse est inscrite en caractères arabes une brève locution, « Bois en paix », qui contient toute la philosophie du désert et qui représente bien l’état d’âme de l’auteur:
je n’ai jamais, en effet, rien vu de plus paisible, ni qui invitât mieux à boire en paix dans la maison d’un hôte; je n’ai jamais rien vu de plus simple que le tableau qui se déroulait devant nous. [17]
La pauvreté et l’essentialité de la vie des vieux patriarches nomades du Sahara fascinent Fromentin et à ses yeux elles répond-eut parfaitement à la nudité du paysage (“car c’est par la nudité que le Sahara reprend sa véritable physionomie”). Il ne perd jamais l’occasion d’écrire et de peindre toute la véridicité du lieu, même àtravers les expériences les plus décourageantes: le manque d’eau, la force destructrice du vent, la peur des animaux sauvages. Tout cela contribue à l’objectif de l’auteur de dépouiller ce lieu de toute caractérisation pure et ingénue d’exotisme. Il savoure chaque instant, même le plus hostile. A propos du vent il écrit:
[...] quelquefois, une expansion soudaine de lumière et de chaleur, des vents brûlants qui donnent momentanément au paysage une physionomie menaçante et qui peuvent produire alors des sensations accablantes ; mais, plus ordinairement, une immobilité radieuse, la fixité un peu morne du beau temps, enfin une sorte de impassibilité qui du ciel semble être descendue dans les choses, et des choses, avoir passé dans le visages. [...] Cher ami, j’ai eu peur aujourd’hui car, pendant une heure, je me suis cru aveugle. Est-ce la suite des derniers jours de soleil? Faut-il m’en prendre au vent du désert qui souffle depuis trois fois vingt-quatre heures sans relâche et qui met du feu dans le sang? Est-ce fatigue de l’œil, fatigue de tête? De tout un peu, je crois.[18]
L’immobilité du désert, l’impassibilité du ciel doivent être vues en tant que résistance au déroulement de la vie, même si c’est justement dans ce heurt existentiel que l’auteur découvre le sens des choses. Face à des phénomènes naturels menaçants, Fromentin ne cache pas sa peur et son impuissance. L’originalité de l’approche au désert de Fromentin, que Barthélemy définit une « modalité empathique et sympathique » [19] , se retrouve dans sa perception globale de ce lieu. Son mérite est celui d’avoir su accueillir et partager tous les aspects, même les plus hostiles. Voilà comment il en parle:
N’importe, il’ y à dans ce pays je ne sais quoi d’incomparable qui me le fait chérir. Je pense avec effroi qu’il faudra bientôt regagner le nord; et le jour où je sortirai de la porte de l’est pour n’y plus rentrer jamais, je me retournerai amèrement du côte de cette étrange ville, et je saluerai d’un regret profond cet horizon menaçant, si désolé et qu’on a si justement nommé pays de la soif. [20]
Espace où Fromentin rencontre et accueille l’Autre; pendant son voyage “l’Autre paraît comme l’Autre de son Autre qu’il ne pourrait jamais posséder, ni réduire dans son réel, encore moins dans son imaginaire”. [21] Souvent c’est la mémoire qui illumine les souvenirs du désert et alimente l’écriture des moments que l’auteur a vécus. Le propos de l’auteur est celui de laisser “une suite de récits et de tableaux visiblement puisés aux souvenirs d’un peintre”.
Homme de paradoxe et des grandes passions, voyageur infatigable, Saint-Exupéry a eu une connaissance profonde du désert qu’il a parcouru aussi bien à pied qu’en vol. Ce lieu est présent presque dans toutes ses œuvres, mais c’est dans Terre des hommes et dans Citadelle que l’écrivain en donne une image plus complète. Son expérience la plus significative coïncide avec les années passées au Maroc à Cap Juby en tant que responsable d’escale et de la ligne Toulouse-Dakar. Dans la plus profonde solitude, Saint-Exupéry apprend à aimer le désert qui, à ses yeux de poète, apparaît plein de suggestions. A fin de réaliser des relèvements topographiques, il a survolé tout seul les étendues plus vastes, en se retrouvant souvent au milieu de tempêtes. C’est pendant ces moments où le désert lui apparaît comme une porte ouverte, qu’il laisse libre cours à sa méditation sur la condition humaine, sur des thèmes universels tel que l’amour, la fraternité, le don de soi. La dimension cosmique de la vie sur la terre. Homme d’action par instinct, Saint-Exupéry veut soustraire l’action au vide de sens et pour cette raison veut élaborer une théorie objective de l’homme et du monde dans laquelle l’action retrouve sa valeur et une justification universelle. Cette inclinaison à exalter une attitude vitale et activiste s’impose dans toute sa puissance dans Terre des hommes, Le Petit Prince et Citadelle. Ici il est urgent de parler aux hommes, de valoriser les relations humaines, l’importance de la nature et de l’amour dans la lutte contre l’angoisse existentielle et l’inéluctabilité du hasard.
La complexe personnalité de Saint-Exupéry fond l’attitude du penseur à celle de l’homme d’action; écrire est une conséquence et se nourrit de la méditation d’une conscience vive qui interagit avec le réel dans toutes ses formes et ses expressions. On pourrait parler d’une « appréhension » du réel de la part du pilote-écrivain dont l’instrument de connaissance plus fidè les est justement l’avion. En effet la carlingue devient espace privilé gié de connaissance ainsi que lieu de mé ditation. A propos du dé sert, l’auteur déclare: “j’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence” [22] .
D’abord il faut considérer la conception exupérienne de l’espace qui est à la base de toute son œuvre. Sa pensée est exprimée en termes d’espace, d’un espace qui, comme l’on a vu, loin d’être simple décor, devient plutôt lieu signifié. Ce qui nous fait découvrir une vraie « poétique de l’espace» , dans le sens bachelardien du terme. Dans cette perspective l’espace exupé rien appelle l’individu à l’ouverture, il l’invite à lui imprimer son empreinte, tout en le rendant un espace humain authentique. On assiste à un processus de transformation dont le but est celui de changer l’espace matériel concret en espace symbolique voire lieu significatif. Cela explique la présence constante dans l’œuvre exupé rienne d’images spatiales, qui deviennent la forme d’expression pour traduire ce qui autrement resterait un ensemble confus de perceptions du dehors. Pour Saint-Exupé ry l’espace devient la matière à travers laquelle il peut montrer la transformation imaginaire des perceptions. D’abord il s’agit d’un espace concret, présent, jamais homogène et continu. La pratique de l’écriture et la forme du texte offrent à l’écrivain l’opportunité de créer un rapport entre l’espace qui l’entoure, le dehors, et sa dimension intérieure ou espace du dedans. Dans ce sens, à l’espace qui constitue le monde matériel et affectif avec lequel l’individu interagit Saint-Exupéry ajoute celui d’étendue dont la fonction est de forcer l’homme à “se démasquer, à étaler au grand jour ce qu’il vaut vraiment” [23] . A travers ce processus d’intériorisation d’où vient l’expérience de communion avec l’espace, l’individu rejoint une condition de plé nitude et de certitude. C’est un espace envers lequel il se sent attiré par des forces inconnues que Saint-Exupéry appelle « sollicitations invisibles » . Cette féconde relation s’alimente du contact avec ces espaces affectifs qui ont eu une valeur et avec lesquels l’individu a établi un lien intérieur et émotionnel et qui pour cette raison résiste au temps et à la distance. Pour Saint-Exupéry cet espace coïncide avec la maison d’enfance.
A partir de Terre des hommes on est introduit progressivement dans une dimension spatiale de plus en plus intérieure; ce parcours terminera avec Citadelle où l’espace concret et matériel laisse sa place à un espace plus symbolique. Ici il n’est pas décrit, n’est pas l’objet de la représentation, mais devient plutôt vivant et parlant directement à la sensibilité et à l’intimité de celui qui le regarde et y vit. Cette conception est très bien exemplifiée dans le rapport que l’auteur établit avec l’espace du désert; la beauté de ce lieu n’est pas vraiment celle du paysage décrit, mais plutôt le résultat de l’expérience de l’étendue, comme le dirait Saint-Exupéry, c’est-à-dire du contact avec l’immédiateté des éléments du réel. Tison-Braun commente le choix de Saint-Exupéry de ne pas décrire le désert dans le détail:
Saint-Exupéry a évité la description visuelle du paysage pour se concentrer sur certaines caractéristiques morales; c’est un lieu de pureté que nulle présence humaine n’a « souillé » - lieux « précieux » , de repos et de silence. Le plaisir « puéril » qu’il prend à fouler le sable vierge, le faire couler entre ses doigts est beaucoup plus complexe qu’il ne paraît au premier abord. Il y entre un certain besoin de profondeur, comme de marquer de l’empreinte de son pas une neige intacte. [24]
Chez Saint-Exupéry celle du désert n’est pas une aventure extérieure, mais avant tout un dialogue intérieur qu’il a établit avec un espace primordial et qui l’a profondément enrichi. Lieu initiatique, le désert lui a révélé son secret, à savoir apparemment un lieu hostile et inaccessible qui se transforme dans le reflet de la dimension intérieure de celui qui apprend à le connaître, à l’aimer “je ne fus jamais seul dans le désert”. Dans Terre de hommes Saint-Exupéry é crit :
S’il n’est d’abord que vide et que silence, c’est qu’il ne s’offre point aux amants d’un jour. Si nous ne renonçons pas, pour lui, au reste du monde, si nous ne rentrons pas dans ses traditions, dans ses coutumes, dans ses rivalités, nous ignorons tout de la patrie qu’il compose pour quelques-uns. L’empire de l’homme est intérieur. Ainsi le désert n’est fait de sable, ni de Touareg ni de Maures même armés d’un fusil… Le Sahara, c’est en nous qu’il se montre. L’aborder ce n’est point visiter l’oasis, c’est faire notre religion d’une fontaine. [25]
Il en résulte que la force du désert est toute intérieure et sa richesse est en fonction de ce que l’individu y projette en terme d’images personnelles, de visions, de désirs: “au fond d'un Sahara qui serait vide, se joue une pièce secrète, qui remue les passions des hommes”. [26] Saint-Exupéry connaît un espace désertique qui, paradoxalement, lui fait retrouver son identité, son lien à la terre, ses relations affectives qui sont l’essence de la vie. L’aridité et la stérilité apparentes en fait se transforment en fécondité et en richesse intérieure. Le désert donc devient un espace de rencontre où l’imagination est le canal privilégié de communication entre espace du dehors et espace du dedans. Selon Huguet on peut parler même d’une « prédestination au désert » où l’écrivain savoure “le goût du silence et de la méditation, faculté du rêve”[27] .
Dans Terre des hommes, suite de souvenirs personnels, d’anecdotes, d’expériences réellement vécues, de réflexions plus amples, Saint-Exupéry choisit le élit le désert en tant que contexte récurrent (trois chapitres ont pour titre Oasis, Dans le désert, Au centre du désert). Il est presque impossible de tracer une suite chronologique des événements, puisque il s’agit plutôt de fragments épars tenus ensemble du fil de la mémoire. Toute l’œuvre est parsemée de réflexions et de retours en arrière dans le temps. Les chapitres dé dié s au dé sert ont en commun une description de l’espace dans lequel l’individu prend conscience du temps qui passe. Ici le dé sert subit une sorte de transfiguration, en ayant un aspect presque lé gendaire et mysté rieux. L’auteur le lie par association d’idé es à l’image du parc de Saint Maurice pendant son enfance et aux connotations dont celui-ci est chargé. Ce genre de description pourrait être définie « poétique» , dans la mesure où il est chargé d’affectivité et devient un instrument d’expression d’une manière d’être au monde. Ici l’espace géographique n’est qu’un support, la matrice d’une quête d’identité d’où jaillit une réflexion plus générale sur la relation de l’homme au monde.
Pendant son séjour en Afrique, à Cap Juby, Saint-Exupéry doit faire face à un désert hostile et pleins d’obstacles; dans ces territoires il entre en contact avec les peuples nomades qui y vivent. Vrais patrons du désert, les Maures attaquent les étrangers, capturent les équipages et détruisent tout ce qui leur appartient. Et pourtant Saint-Exupéry essaye de trouver un canal de communication avec les indigènes; il a connu leurs tribus puisqu’il parcourait en long et en large leurs territoires. Son intention est de comprendre les causes des disputes, mais surtout de comprendre les causes de leur orgueil implacable et d’établir des contacts pacifiques.
C’est pendant une nuit de voyage que Saint-Exupéry découvre son amour pour le désert; il passe son temps à observer le paysage illuminé par la seule lumière de la lune, et en attendant le lever du soleil au sommet d’une dune, il contemple la multitude d’étoile qui affolent le ciel. Il s’abandonne au souvenirs d’enfance pour surmonter les heures de solitude et de peur, jusqu’au moment où ces sentiments laissent la place à une profonde quiétude et au sentiment d’une présence, d’une amitié :
Et je méditai sur ma condition, perdu dans le désert et menacé, nu entre le sable et les étoiles, éloigné des pôles de ma vie par trop de silence. [...] Ici, je ne possédais plus rien au monde. […] Et cependant, je me découvris plein de songes. . [...] Puis, je compris et m’abandonnai, les yeux fermés, aux enchantements de ma mémoire.
Il était, quelque part, un parc chargé de sapins noirs et de tilleuls, et une vieille maison que j’aimais. Peut importait qu’elle fut éloigné e ou proche, qu’elle ne put ni me réchauffer dans ma chair ni m’abriter, réduite ici au rôle de songe: il suffisait qu’elle existait pour remplir ma nuit de sa présence. [28]
L’espace du désert devient alors médiateur de distance et, à travers un mécanisme de translation, il assume toutes les caractéristiques d’un lieu affectif, habité, qui pour cette raison représente la stabilité, la permanence, la chaleur humaine. Lieu de protection et d’intimité dans la définition bachelardienne, ce lieu devient l’espace de la vie intérieure. Demeure de l’âme, de la mémoire, du passé. C’est pourquoi Saint-Exupéry fait appel au souvenir de la maison d’enfance chaque fois que le vide et le doute pressent. Devant l’immense étendue du désert le jardin de Saint-Maurice va représenter la stabilité, le sens de protection, ayant été le lieu où les enfants jouaient:
En face de ce dé sert transfiguré je me souviens des jeux de mon enfance, du parc sombre et doré que nous avions peuplé de dieux, du royaume sans limites que nous tirons de ce kilomètre carré jamais entièrement connu, jamais entièrement fouillé. [...] J’avais besoin de ces mille repères pour me reconnaître moi-même, pour découvrir de quelles absences était fait le goût de ce désert, pour trouver un sens à ce silence fait de mille silences, où les grenouilles même se taisaient [...] Non, je ne logeais plus entre le sable et les étoiles. Je ne recevais plus du décor qu’un message froid. [...] Une autre pesanteur me ramène à moi-mê me. Je sens mon poids qui me tire vers tant de choses! Mes songes sont plus réels que ces dunes, que cette lune, que ces présences. Ah! Le merveilleux d’une maison n’est point qu’elle vous abrite ou vous réchauffe, ni qu’on en possède les murs. Mais bien qu’elle ait lentement déposé en nous ces provisions de douceur. Quelle forme, dans le fond du cour, ce massif obscur dont naissent, comme des eaux de source, les songes… Mon Sahara, mon Sahara, te voilà tout entier enchanté par une fileuse de laine! [29]
Le lieu qui devient maison est ce que Bachelard appelle « coin du monde » , ce premier univers dans lequel l’individu est protégé avant d’être « jeté dans le monde » . En contact avec l’espace désertique, Saint-Exupéry redécouvre ses liens, ses souvenirs d’enfance, sa maison; ceux-ci se révè lent des certitudes, des armes pour se défendre, des bases sûres. On peut comprendre alors comment :
le paysage saharien redessine la carte de nos attachements essentiels, redéfinit les “directions cardinales” à partir desquelles notre existence retrouve son poids, son sens et reconnaît ses “pôles essentiels”. Double révélation: le Sahara est un site sensible, une surface vivante où se révèlent fragiles, subtiles, nos alliances, nos attaches, nos attirances. [30]
Dans le centre du désert raconte l’épisode d’un atterrissage de fortune dans le désert de Lybie en 1935 dont Saint-Expéry et son ami Prévost ont été les protagonistes. Les deux se retrouvent à passer la nuit dans la carlingue de l’avion et à admirer un paysage extraordinaire: le sol est couvert de cailloux brillants et noirs, si bien que Saint-Exupéry affirmera: “nous sommes tombés dans une monde minéral. Nous sommes enfermés dans un paysage de fer”. Ils marchent pendant des heures sans réussir à trouver aucune trace de vie, ils vivent une odyssée à la merci du soleil implacable, de la soif et des mirages. Les deux amis assistent à un véritable phénomène de cristallisation des éléments: le tronc d’un arbre devient un rocher; tout autour prend l’aspect de granit noir. Le spectacle auquel ils assistent est celui d’un royaume minéral éblouissant qui alimente leurs rêveries de pétrification et de retour aux origines du monde. Témoins d’une véritable apocalypse, ils connaissent l’autre face de l’univers, cèdent aux suggestions des mirages et éprouvent une sorte de « nausée existentielle » en parcourant l’histoire du monde à rebours. Le seul refuge pour Saint-Exupéry est la mémoire des lieux de son enfance. Il s’abandonne aux souvenirs dont il reçoit une confirmation du fait d’être bien enraciné dans la terre; le souvenir devient une manière d’affronter l’étendue hostile du désert dont autrement il serait sans doute accablé: “Maintenant que je ne crois plus en ce qui m’entoure, je me retire chez moi, je ferme le yeux et je ne remue plus un cil. Tout ce torrent d’images m’emporte, je le sens, vers un songe tranquille.” [31] Il s’agit d’une réaction de la part de l’individu qui, devant un espace illimité tendant à nier ou à annuler sa présence, impose celle-ci comme un besoin. Les jours après ont été épouvantables: le temps passait et l’espoir de salut s’affaiblissait de plus en plus, jusqu’à en donner la sensation de ne ressentir que le seul désespoir. C’est dans cette circonstance qui intervient le signe d’une présence salvifique: la rencontre d’un bédouin qui apporte de l’eau, qui apporte la vie. On ne peut pas oublier les belles pages dans lesquelles Saint-Exupéry nous offre une apologie de l’eau:
L’eau!
Eau, tu n’as ni goût, ni couleur, ni arôme, on ne peut pas te définir, on te goûte, sans te connaître. Tu n’es pas nécessaire à la vie: tu es la vie. (…) Par ta grâce, s’ouvrent en nous toutes les sources taries de notre cœur. Tu es la plus grande richesse qui soit au monde, et tu es aussi la plus délicate, toi si pure au ventre de la terre. On peut mourir sur une source d’eau magnésienne. On peut mourir à deux pas d’un lac d’eau salée. On peut mourir malgré deux litres de rosée qui retiennent en suspens quelques sels. Tu n’acceptes point de mélange, tu ne supportes point d’altérations, tu es une ombrageuse divinité …
Ma tu répands en nous un bonheur infiniment simple. [32]
Aux yeux de Saint-Exupéry, l’arabe devient le représentant de l’humanité entière, dépassant toutes les caractéristiques d’unicité et d’individualité qui sont de chaque homme. Cet épisode est l’anticipation du chapitre successif entièrement consacré à une méditation sur l’homme et sur l’espace du désert, appuyée sur une combinaison d’images de vie et de mort. Toute en se concluant avec la scène dé solante d’un groupe de gens devenus des « paquets de glaise » , pétrifié s dans leur condition de misère et d’abandon, Terre des hommes nous laisse aussi l’image d’un enfant qui représente encore l’espoir et la promesse d’une humanité qui se renouvelle.
Dans cette perspective, Citadelle a beau être incomplète, cette œuvre posthume réalise le projet exupérien de bâtir un espace clos et protectif de l’esprit humain renouvelé. Dans Citadelle également l’auteur parle d’une soif spirituelle à satisfaire, en comparant le voyage existentiel de l’homme à un parcours dans le désert vers une oasis. Dans l’eau, symbole par excellence de la vie, l’homme retrouve la pleine réalisation de sa quête. Ontologiquement l’homme est lié à cette matière dès sa naissance; en fait, une fois abandonné dans sa mer amniotique, il ne peut faire son expérience existentielle qu’en puisant à une autre source de vie. Cela nous ramène à la symbologie de l’eau dans Le Petit Prince, où ce n’est pas un cas que les deux protagonistes se rencontrent dans le désert!). “Ce qui embellit le désert c’est qu’il cache un puits quelque part”, affirme le petit prince. Cette conviction est à l’origine d’un parcours initiatique que les deux amis entreprennent dès leur rencontre. “J’ai soif de cette eau-là, donne-moi à boire”, continue le petit prince. L’eau du puits lointain devient le symbole du besoin vital du don et de l’ouverture à l’autre. Sa seconde mère est donc la terre qui l’accueille. La recherche de la présence de l’eau est donc un leitmotiv dans l’œuvre exupérienne ainsi qu’un message de l’auteur nourri d’espoir pour l’humanité. Dans l’é tendue illimitée du désert chacun laisse son empreinte et trouve ce qu’il cherche. C’est là le paradoxe du désert : d’un côté lieu inhospitalier de solitude, lieu même de privation et de mort, de l’autre côté il devient espace de rencontre de l’autre et de redécouverte de soi. Etendue stérile et incommensurable en apparence, le désert se transforme dans un espace de révélation et de profondeur spirituelle, où l’homme retrouve le sens de son existence.
Citadelle est un immense échafaudage de pensées et de méditations philosophiques dans un style hiératique et en même temps redondant. Volumineuse, jamais réélaborée, mais en état de « gangue » , l’oeuvre manque de toute structure narrative et refuse toute classification de genre. Sa construction, caractérisée d’un langage tendant au mysticisme typique d’autres classiques, a l’intention de racheter l’humanité en lui faisant entrevoir la possibilité une société modèle plus humaine et harmonieuse, dans laquelle l’intégrité morale de l’individu et le respect de la dignité humaine sont les valeurs fondamentales. Personnage principal, ainsi que voix narrante, le Caïd raconte la période de sa jeunesse passée sous l’égide d’un père puissant et sage. La narration semble annoncer le voyage dans le royaume de l’esprit où le seigneur berbère veux bâtir une citadelle. Le prince du désert nous apparaît donc en tant qu’un hermite dépositaire d’un message de sagesse: pour ne pas tomber dans la médiocrité, l’homme ne doit pas se borner en suivant son instinct. Au contraire il peut s’élever et se réaliser totalement en contribuant, par le sacrifice même, à la construction d’une citadelle de l’humanité. Il s’agit évidemment d’un discours plus général sur l’homme; c’est l’homme que l’on veut construire. Voici les mots du Caïd :
car il m’est apparu que l’homme était tout semblable à la citadelle. Il renverse les murs pour s’assurer la liberté, mais il n’est plus que forteresse démantelée et ouverte aux étoiles. Alors commence l’angoisse qui est de n’être point. Qu’il fasse sa vérité de l’odeur du sarment qui grille ou de la brebis qu’il doit tondre. La vérité se creuse comme un puits. Le regard, quand il se disperse, a la vision de Dieu.
En sait plus long sur Dieu que l’épouse adultère ouverte aux promesses de la nuit, tel sage qui s’est rassemblé, et ne connaît rien le poids des laines.
Citadelle, je te construirai dans le cœur de l’homme. [33]
Citadelle s’offre comme la représentation symbolique de l’existence humaine, notamment de la capacité de l’homme de faire face aux forces hostiles provenant de l’extérieur. M. Quesnel observe à ce propos:
toute une humanité, à la fois ré elle et allégorique, fait de personnages observés au Sahara ou au Maghreb et des fantoches qui peuplent notre société se presse dans les pages de Citadelle. Mais avant de la rencontrer, souvenons-nous que la citadelle est citadelle dans le désert, que ses jardins sont que les Touareg appellent les jardins du désert, qu’elle est menacée par le sable. [34]
On assiste au retour de l’attachement à un espace familier, clos et sûr qui reflète le lien de l’homme à la terre, mais aussi du rapport avec un espace étranger, vide, qui est celui de l’univers entier. Cette bipolarité caractérise mê me Citadelle. Dans ce sens le désert est la concrétisation de ce chaos qui menace la stabilité de la citadelle:
la citadelle est enveloppée du désert, et les sables pèsent autant qu’elle dans la mesure où c’est contre eux qu’elle s’édifie. Espace riche d’ambiguïté , comme l’est tout espace réel, le désert fascine par l’avare réseau des puits, terrifie d’être à l’infini rocaille et poussière. Tout à la fois peuplé et vide, il est, désagrégé, symbole de désagrégation, et dans ce livre d’un poète, le désert, présence immédiate, appelle ses propres métaphores, la mer et ses tempêtes qui menacent d’engloutir la citadelle-navire.[35]
Cosmos-Chaos. Binôme exprimant l’essence de la pensée exupérienne, à savoir synthèse d’une conflit entre l’être et le néant, entre Genèse et Apocalypse. Dans ce contexte la citadelle est l’image d’un ordre, d’une existence organisée; autour de ce micro-cosmos humain s’étendent deux espaces dangereux et en mouvement continu: l’un est la mer est le chaos précédant la vie humaine sur la terre, l’autre est le désert, étendue imposante du monde minéral, voire le chaos d’après sous lequel tout risque de s’anéantir:
ainsi le temple que tu as bâ ti sur la montagne, soumis au vent du nord, s’est usé peu à peu comme une é trave ancienne et commence dé jà de sombrer. Et celui-là que les sables assiè gent, ils en prendront peu à peu possession. Tu retrouveras sur ses fondations un dé sert é tale comme la mer. [36]
Le jeune prince s’interroge sur la possibilité de bâtir une forteresse dans les dunes du désert; dans ce sens il assume le rôle d’un guide dont l’intention est celle de conduire un peuple (l’humanité) endormi envers la redécouverte de son essence la plus sublime. Loin de projeter une pratique politique, le Caïd fait confiance aux potentialités humaines. Tout en se montrant comme un bâtisseur de l’esprit, il ne propose aucun monde utopique, mais plutôt la réponse à un sentiment d’urgence: “ô Citadelle, ma demeure, je te sauverai des projets du sable, et je t’ornerai de clairons tout autour, pour sonner contre les barbares”.[37]
L’homme est celui qui crée, qui établit des fondements pour la totale réalisation de soi, tout en se mouvant et en se transformant sans cesse. L’intention créatrice est donc la « conditio sine qua non» pour que la matière se transforme en édifice et plus en général l’espace ait un sens. Il est éloquent que le Caïd raconte d’avoir guidé un jour son peuple et d’avoir découvert une citadelle perdue, une oasis dans le sable, une Atlantide méconnue dont l’aspect était parfait en apparence mais en fait inhumain, paradoxal, qui en faisait une sorte d’anti-citadelle. Ses habitants ignoraient toute sorte de dialogue et d’échange avec les autres, tout en se refugiant à l’intérieur de remparts. Le prince berbère la décrit comme l’image opposée à celle de sa citadelle idéale, où la vie se fonde sur la possibilité du dialogue et l’accueil de l’autre.
Toutes les images spatiales exupériennes s’alimentent d’un compromis entre l’espace du dedans et l’espace du dehors. Elles attestent l’authenticité d’un rapport de l’individu à l’espace qui est fait l’appropriation réciproque ; ainsi, là où tout semble s’effondrer dans le néant, dans l’indéfini, le désert se transfigure en étendue, en se chargeant d’une valeur intérieure. Chez Saint-Exupéry le désert en tant que symbole de l’indéfini, prend une forme: il perd son caractè re d’hostilité , de dé sordre, de fausseté , de distance pour devenir une é tendue imaginaire sans aucun obstacle, complètement pénétrable et reconnaissable. A travers un parcours d’intériorisation du désert, l’auteur se revoit et se reconnaît. Le désert est la dimension dans laquelle on s’approprie l’évidence de toute chose, ainsi que notre appartenance « cosmique » au monde. Paradoxalement le désert amplifie le pouvoir d’attraction qu’ont les personnes et les lieux de la vie et de la mémoire de chacun. Bernadie note à ce propos :
Tout s’oriente désormais sur chacun de ces pôles qui magnétisent chacun leur étendue et le Sahara désormais n’est plus un « grand territoire » , mais un continent vivant où s’entrecroisent les faisceaux et les flux d’un magnétisme imaginaire qui rendent à chacune de ses contrées et des heures la qualité particulière de son silence. [38]
Le silence du désert devient la modalité de communication entre l’individu et ses pôles affectifs: chez Saint-Exupéry le Sahara se transmue dans un paysage où le sable et les pierres ne dominent plus, mais où l’on peut retrouver un réseau d’itinéraires qui convergent dans une seule direction à suivre. Toute architecture matérielle se transforme en architecture affective, dans la mesure où l’espace du dehors perce l’espace du dedans, en devenant “ce que naissait en nous. Ce que nous apprenions sur nous mêmes”. [39] En définitive le désert reflète l’homme: ici l’homme est obligé à regarder dans son âme et découvre toutes ses faiblesses, toute sa fragilité par rapport à l’inexorabilité de la nature. Lieu de vérité, le désert conduit l’homme dans la prise de conscience de ses limites et de ses craints. Il existe une continuité entre la réalité physique et la dimension spirituelle, dans la mesure où la dureté du climat, le malaise et les privations de la vie dans le désert pèsent sur le corps d’une part, mais de l’autre construisent dans l’espace intime une réalité nouvelle.
Les deux approches au désert qu’on a choisies nous ont rendu la capacité de s’émerveiller devant un espace nu, bouleversant, dont les limites ne sont pas prévisibles, qu’aussi bien Fromentin que Saint-Exupéry ont fini pour aimer profondément. L’expérience que les deux auteurs partagent synthétise une vérité fondamentale: s’arrêter pour méditer sur sa propre vie favorise la rencontre de l’autre et de l’ailleurs. Tantôt l’un tantôt l’autre subissent les suggestions et la force d’attraction d’un espace inégalable et ils en restituent une image chargée de vérité existentielle.
[1] G. Bachelard, L’eau et les rêves, Paris, José Corti, 1940, p. 6. Retour
[2] A. Moles, E. Rohmer, Psychosociologie de l’espace, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 29. Retour
[3] Cit. in G. Matoré , L’espace humain, Paris, Nizet, 1976, pp. 288-289. Retour
[4] J.-R. Henry, « Le désert nécessaire» , Autrement, n.5, 1983, p. 18. Retour
[5] M. Roux, Le désert de sable, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 22. Retour
[6] E. Fromentin, Un été dans le Sahara, in Œuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1984, p. 4. Retour
[7] E. Fromentin, Un année dans le Sahel, in Œuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, Gallimard, 1984, pp. 219-235. Retour
[8] E. Fromentin, Un été dans le Sahara, cit., p. 5. Retour
[9] Cfr. A. M. Christin, Fromentin conteur d’espace, Paris, Le Sycomore, 1982, p. 9. Retour
[10] [14] J. P. Richard, Paysages, de Fromentin, in Littérature et sensation, Paris, Seuil, 1954, p. 238. Retour
[11] E. Fromentin, Un été dans le Sahara, cit., p. 74. Retour
[12] Ivi, p. 17 et pp. 126-127. Retour
[13] Cfr. J. Baudrillard, Esthétique de la disparition, Paris, Galilée, 1989. Retour
[14] E. Fromentin, Un été dans le Sahara, cit., p. 54. Retour
[19] G. Barthé lemy, op. cit. p. 107. Retour
[20] E. Fromentin, op. cit., p. 183. Retour
[21] AA. VV., « La halte et le passage dans “Un été dans le Sahara” » , in Voyage imaginaire, voyage initiatique, Actes du congres international de Vérone, 26-28 Avril 1988, Centro Interuniversitario di ricerca sul Viaggio in Italia, Università degli studi di Verona, p. 111. Retour
[22] A. Saint-Exupery, Le Petit Prince, Paris, Gallimard, 1961, p. 479. Retour
[23] G. Le Hir, « Le mythe d’Orphée dans Courrier Sud de Saint-Exupéry» , Travaux de linguistique et de littérature, n° 2, vol. VI, pp. 187-188. Retour
[24] M. Tison-Braun, Poétique du paysage. Essai sur le genre descriptif, Paris, Nizet, 1980, p. 147. Retour
[25] Saint-Exupé ry, Terre des hommes, Paris, Gallimard Folio, 1939, p. 77. Retour
[27] J. Huguet, Saint-Exupéry ou l’enseignement du désert, Paris, La Colombe, 1956, p. 23. Retour
[28] Saint-Exupéry, Terre des hommes, cit., pp. 63-64 et p. 66. Retour
[29] Ivi, pp. 64-66 et p. 108. Retour
[30] S. Bernadie, L’imagination de l’espace dans l’œuvre de Saint-Exupéry, Thèse pour le Doctorat d’état, Université Grenoble III, 1981, p. 170. Retour
[31] Saint-Exupéry, Terre des hommes, cit., p. 149. Retour
[33] Saint-Exupéry, Citadelle, Paris, Gallimard, 1948, p. 43. Retour
[34] M. Quesnel, « Lire Citadelle», Carnets Saint-Exupéry 3, Paris, NRF, 1989 p. 60. Retour
[36] Saint-Exupéry, Citadelle, cit., p. 64. Retour
[38] S. Bernadie, op. cit., p. 323. Retour
[39] Saint-Exupéry, Terre des Hommes, op. cit. p. 80.Retour
BACHELARD G., L'eau et les rêves, Paris, José Corti, 1940La poétique de l'espace, Paris, P.U.F., 1957.
BARTHé LEMY G., Fromentin et l'écriture du désert, Paris, L’Harmattan, 1997.
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