Nous voudrions présenter une description du fonctionnement sémantique et pragmatique des connecteurs «en somme», «somme toute» et «somme», en français préclassique et classique. À ce jour, il n’existe aucune étude sur le sujet.
L'étude des connecteurs du français en diachronie reste en grande partie à faire, et cela est d'autant plus vrai pour la période qui nous occupe.
Notre corpus provient de textes interrogés sur la base de données Frantext.
Notre travail s’inscrit dans le cadre théorique que fournissent les études de Roulet et Rossari, entre autres, sur l'analyse de la conversation et sur les connecteurs.
En ce qui concerne Roulet, dans son travail sur l’articulation du discours (L’articulation du discours en français contemporain, 1985) il s’appuie en partie sur le projet de Bakhtine et Pike pour introduire le concept de structure hiérarchique. Les réflexions sur l’illocutoire et sur l’implicite développées par Austin et Searle vont jouer un rôle déterminant dans les recherches pragmatiques de Roulet et dans son étude sur les relations entre forme et fonction dans la langue. Finalement ce qui a le plus influencé ses travaux c’est la théorie de l’énonciation dans la langue de Ducrot et Anscombre et ce qui nous intéresse surtout: les marques linguistiques de l’articulation dans le discours c'est-à-dire les connecteurs pragmatiques dont il fait un classement et une description à la fois syntaxique et pragmatique.
De son côté, Rossari, (Les opérations de reformulation, 1994) suit le cadre théorique de Roulet (1985) sur l’identification des fonctions interactives des différents constituants d’une intervention. Le discours peut être analysé en fonction de différents modules; le module relationnel détermine les relations entre un énoncé et un état de la mémoire discursive. (Rossari ; 1994: 3)
Il nous semble donc nécessaire de parcourir avec Rossari le chemin qui nous conduira à cerner la différence entre connecteurs reformulatifs et argumentatifs. Pour ce faire il faut trouver les critères qui vont nous permettre de définir la fonction interactive de reformulation face à celle d’argumentation. Ceci nous sera indispensable pour savoir où classer les connecteurs que nous nous proposons d´étudier dans cet article.
Parmi les diverses fonctions interactives qui peuvent unir deux actes discursifs, la fonction interactive de reformulation semble plus directement liée à la présence d’un marqueur spécialisé que celle d’argumentation. (Rossari; 1994: 6)
Dans l’exemple (1), le marqueur « ;en somme» ; en tant que connecteur reformulatif introduit le dernier acte discursif.
1. La fange herissoit l' or de ses blonds cheveux, son front ne brilloit plus d' un million de feux ; et sa stupidité se monstra telle «en somme», que de Dieu qu' il estoit, on le crût moins qu' un homme.(Colletet :1655, Poésies diverses)
Sans connecteur (1’) les différents segments discursifs qui constituent la première partie du discours servent d’arguments orientés vers une conclusion : (1’) […] et sa stupidité se monstra telle, que de Dieu qu' il estoit, on le crût moins qu' un homme.
Ce rapport interactif d’argument pour une conclusion est annulé quand il y a un connecteur reformulatif. L’opération de reformulation doit toujours être marquée par la présence du connecteur (2) ; c’est pourquoi son absence rend l’énoncé inacceptable étant donné qu’elle n’assure plus le rapport de succession entre deux actes dans un discours.
2. […] peu de foin donne-on aux chèvres praignes les plus avancées, et à celles qui ont chevreté, un ou deux jours après leur terme : aussi aux malades pour les fortifier et guérir. «En somme», il n'y a bestail sujet à garde, qui rapporte son revenu avec si peu de frais, que cestui-ci. (Serres : 1603, Le Théâtre d'agriculture et mesnage des champs).
On se rend compte alors de l’importance de bien saisir la nature du lien instauré par chaque connecteur reformulatif pour bien comprendre l’opération qu’il établit entre les différents segments du discours mis en rapport.
Dans sa description des connecteurs pragmatiques, Roulet (Complétude interactive et connecteurs reformulatifs, 1987), fait un premier classement : les marqueurs métadiscursifs, les marqueurs de structuration de la conversation et les connecteurs interactifs. Il considère dans cette dernière catégorie les connecteurs argumentatifs, contre-argumentatifs, consécutifs et réévaluatifs.
Il distingue deux types de réévaluatifs[2] :
a. Les récapitulatifs qui opèrent la synthèse d’un mouvement discursif antérieur (constitué au minimum de deux actes ou interventions). Il va classer «en somme» dans cette catégorie. Dans une structure «p en somme q», les actes représentés par «p» et «q» doivent être coorientés.
b. Les correctifs qui rectifient un mouvement discursif préalable (constitué au minimum d’un acte ou une intervention).
Plus tard, Roulet (1987), va modifier en quelque sorte cette première classification en ajoutant aux réévaluatifs les reformulatifs.
Les connecteurs reformulatifs sont caractérisés par une opération de changement de perspective énonciative émanant d’une rétrointerprétation du mouvement discursif antécédent[3]. La nouvelle formulation, présentée comme un acte principal, est introduite par un connecteur reformulatif qui indique au locuteur explicitement le changement de perspective énonciative opéré.
Deux points intéressants à considérer dans cette description :
a. Le connecteur reformulatif permet au locuteur la rétrointerprétation du mouvement discursif antérieur en même temps que sa subordination.
b. Cette rétrointerprétation est présentée par le connecteur comme une nouvelle manière d’interpréter le point de vue auquel le connecteur renvoie.
On peut en conclure que la reformulation est fondamentalement un processus de réinterprétation, suivant la perspective énonciative choisie.
En ce qui concerne le rapport instauré par <«en somme» entre les différents constituants qu’il réévalue, ceux-ci sont indépendants. Ils sont présentés comme des arguments appuyant des actes directeurs distincts, explicitement formulés ou non, et dont ce connecteur a pour fonction d’opérer la synthèse. (Roulet ; 1987: 159)
Avec un connecteur reformulatif comme «en somme», le locuteur indique que le point de vue introduit doit être compris comme présentant une nouvelle manière de considérer P, qui selon les instructions du connecteur consiste en une synthèse de P. (Rossari ; 1994: 9)
En définitive, ce qui intéresse surtout pour les reformulatifs c’est de décrire la différence entre le point de vue auquel le connecteur renvoie et celui qu’il introduit, ce qui est appréhendé par le fonctionnement sémantico-pragmatique du connecteur.
Les trois connecteurs que nous étudions – «en somme», «somme toute», «somme» - s'inscrivent dans la catégorie des connecteurs reformulatifs.
1. 1 a L’opération de reformulation paraphrastique doit prendre en considération l’équivalence sémantique entre deux énoncés ainsi que l’acte d’une «prédication d’identité». Elle lie deux constituants de même niveau hiérarchique et consiste, comme son nom indique, en une simple paraphrase. (Gülich et Kotschi ; 1983, Les marqueurs de la reformulation paraphrastique). C'est-à-dire les deux énoncés doivent être compris comme identiques.
Pour ce faire la présence d’un marqueur de reformulation paraphrastique est importante, mais pas indispensable. Les autres moyens repérés par Gülich et Kotschi (1983: 308) sont: parallélisme syntaxique, répétition du contour intonatif de la phrase, réduction de la vitesse de débit, articulation remarquablement nette des deux syllabes qui terminent l’énoncé doublon.
La notion d’équivalence sémantique est indispensable lorsque le marqueur de reformulation paraphrastique n’est pas présent, par contre le marqueur peut formuler une identité entre des états de choses qui ne possèdent pas une relation d’équivalence.
1. 1 b Pour ce qui est de la reformulation non paraphrastique, le marqueur permet d’opérer la rétrointerprétation du point de vue auquel il renvoie sous une nouvelle perspective qui est signalée par les instructions sémantico-pragmatiques du marqueur. C’est cette nouvelle perspective énonciative qui permet au locuteur sa prise de distance par rapport au point de vue auquel il renvoie, et qui est saisie à travers les instructions du connecteur employé.
La description du marqueur [«somme»] [4] ici envisagé, va nous permettre de distinguer les opérations de reformulation formulées par le locuteur ; en principe condenser la formulation envisagée.
Nous abordons ici l’étude du groupe de marqueurs basés sur «somme : » «en somme», «somme toute», «somme» cherchant dans les différents dictionnaires de l’époque.
1. Huguet, dictionnaire du Moyen-âge : somme "Je fuy…Et en fuyant je voy qu’en vain j’estrive, Dont j’appelay et dieux et humain : somme, Ma voix ne vint en nulle oreille d’homme". Marot, tr. Metamorphose, 1. II (III, 231). " Somme, tous les papiers furent bruslez". Rabelais, II, 10. " Somme, qui sçaura bien pourquoy il est necessaire que le corps meure à ceste heure pourra cognoistre l’opposite pourquoy lors il est inmortel" Montaigne, tr. Sebon, ch. 234. Somme que. "Somme que le monde n’a esté sans subtiles tromperies ". Belon, Port. D’oys. 7 rº (G).
2. Richelet (1681) : en somme adv. Ce mot est vieux si ce n’est dans le burlesque, en sa place on dit «enfin, en un mot, après tout». Ses spectateurs nous défendent en somme tous les plaisirs que l’on goute ici bas. (La Fontaine).
3. Furetière (1687) : somme toute, se dit adverbialement pour conclusion. «Enfin somme toute». C’est là vostre advis. Somme toute, je n’en feray rien. En somme adv. «en abrégé». Je vous dis en somme ce qu’en est.>br />
4. Dictionnaire de l’académie (1694): somme toute, en somme loc. adv. «enfin, en résumé, pour conclusion». Somme toute vous devriez être satisfait. Somme toute, ce n’est pas un homme en qui vous devriez trop fier.
5. Dictionnaire de l’académie, édition de 1718 On dit aussi proverbialement somme toute, «enfin, pour conclusion». Somme toute, qu’en sera-t-il ? Hé bien somme toute qu’en est-il arrivé ? En somme, que pensez-vous de lui ? Il est du style familier. On dit en somme dans le mesme sens. En somme c’est un fort bon garçon. Il vieillit.
6. La Curne (1876) : somme loc. adv. «bref, en résumé». Somme, nous latinisames tant, qu’il en regorgea, jusques à nos villages tout autour. (Montaigne. I, p. 265)
Pour ce travail, nous avons tiré notre corpus de la base textuelle frantext.
Au XVIe siècle nous avons obtenu 273 occurrences de [«somme»]; pour «en somme» 185 (l’œuvre de Jean Calvin Institution de la religion chrestienne avec 3 livres produit à elle seule 79 exemples), 8 pour «somme toute» + 8 pour «somme tout» et 72 pour «somme».
Au XVIIe siècle nous avons obtenu 221 occurrences de [«somme»]; pour «en somme» 205 (l’œuvre du Père François Garasse La Doctrine curieuse des beaux-esprits de ce temps avec 7 livres produit 78 exemples et celle de Serres Le Théâtre d’agriculture et mesnage des champs produit 51 exemples), 1 pour «somme toute» et 15 pour «somme». Le marqueur «somme» semble avoir entièrement disparu au XVIIIe siècle.
Les connecteurs qui composent le groupe du marqueur [«somme»] sont à quelque exception près (pour «en somme») des adverbes de phrase aussi bien au XVIe qu’au XVIIe siècle.
«En somme» est généralement un adverbe de phrase qui se trouve en position détachée, n’admet pas l’impératif, ne peut pas être nié, ne supporte pas la focalisation et peut figurer en tête d’énoncés négatifs.
3. Ce n’est «en somme» qu’une fleur qui passe, chose bien mince, et quasi rien que la couleur d’un corps (Charron: 1601, De la sagesse).
L’exemple (3) ne contredit pas ces critères, car ce n’est pas le connecteur qui est nié, mais la phrase. Quant à la focalisation, on peut reformuler de la sorte: «en somme», ce n’est qu’une fleur qui passe.
On a cependant trouvé, dans notre corpus, quelques exemples du connecteur en somme, comme adverbe de constituant :
4. Maintenant parlez clerement
Et voulez declairer «en somme»
Que ce Banquet evidamment
Ses adherens tue et consomme (La Chesnay: 1508, La Condamnation de Banquet)
L’exemple (4) présente le connecteur «en somme» comme adverbe de constituant. Il ne peut pas être déplacé en position frontale. Il se rapporte au verbe précédent («declairer») comme «clerement» se rapporte à «parlez».
«Somme toute» est toujours un adverbe de phrase qui se trouve souvent déplacé à la fin de l’énoncé: Experience: Je vous entens bien, somme toute (La Chesnaye:1508)
«Somme», est un adverbe de phrase qui figure uniquement en tête de phrase qui a les mêmes caractéristiques de «bref», dont on parlera plus loin.
"«En somme» spécifie le type même d’opération qui détermine le changement de perspective énonciative opérée : addition des éléments concordants envisagés précédemment".(Roulet ; 1987: 126)
Nous faisons l’hypothèse que «en somme», à la différence des connecteurs des autres sous-classes, ne peut reformuler que les éléments de même signe, conformément au sens commun, selon lequel, sauf indication contraire, on n’additionne que des chiffres de même signe. (Roulet ; 1987: 127)
Quant à Schelling (Quelques modalités de clôture: les conclusifs «finalement, en somme, au fond, de toute façon», 1982) elle insiste sur les deux propriétés fondamentales de ce connecteur[5]: ses instructions fonctionnelles[6] sont rétroactives (il renvoie à des constituants, minimalement deux qui assurent la fonction objet du discours) et le caractère argumentatif de coorientation des arguments sur lesquels il porte.
Rossari (1993: 50) retient deux notions : le locuteur présente son énoncé comme la reformulation de P[7], et Q est présenté comme visant la recherche d’un dénominateur commun aux P (dans une structure : P1, P2, «en somme» Q).
En fait ce qui semble incontournable c’est la subordination rétroactive à l’acte principal étant donné qu’on a affaire à un connecteur reformulatif non paraphrastique.
Nous classons ce connecteur dans la catégorie des reformulatifs récapitulatifs :
La langue dispose d’un certain nombre de mots dont l’emploi laisse présager, de la part du locuteur, l’intention de résumer un fragment discursif antérieur, de le reprendre pour le récapituler, pour le réduire. C’est cette fonction que l’on est tenté d’attribuer, de manière purement intuitive, à des termes ou à des expressions lexicalisées tels que «en résumé», «pour finir», «bref», «en bref», «en un mot», «en deux mots», «en somme», «somme toute», «en gros»… (Schedecker; 1987, La gestion des marqueurs récapitulatifs : l’exemple de «bref»).
Comme cela est visible dans les dictionnaires cités précédemment pour le XVIe et XVIIe siècles (Huguet, Richelet, Furetière, Dictionnaire de l’Académie), les paraphrases les plus fréquentes pour en somme sont enfin, en résumé, en conclusion. Il faut chercher si les instructions fonctionnelles de ces trois connecteurs sont les mêmes que celles qui sont associées à «en somme».
Les quatre connecteurs («en somme», «enfin», «en résumé», «en conclusion»), signalent le type d’opération qui détermine le changement de perspective opéré, mais nous faisons l’hypothèse qu’à la différence des trois autres, «en somme» présente la nouvelle perspective comme le résultat de la prise en compte de plusieurs éléments envisagés préalablement, considérant uniquement les éléments concordants. «Enfin», «en résumé» et «en conclusion» prennent en compte tous les éléments envisagés préalablement, qu’ils soient concordants ou non. Cela est une hypothèse qu’il faut vérifier.
L’exemple (5) présente une structure P en somme Q. En somme présente ici Q comme la reformulation de P, (composé par P1, P2 etc.), reformulation qui retient le dénominateur commun ou point focal d’une série de points de vue.
5. Les excés qu'on fait en jeunesse
De boire, manger ou saulter,
Ilz se retreuvent en vieillesse
Et viennent les corps tormenter.
La mort font venir et haster,
Et c'est le vray entendement
Que trop soupper et banqueter
Assomment gens communement.
EXPERIENCE
Maintenant parlez clerement
Et voulez declairer «en somme»
Que ce Banquet evidamment
Ses adherens tue et consomme. (La Chesnay: 1508, La Condamnation de Blanquet)
Voici les éléments de même signe formulés en P: P1 les excès qu’on fait en jeunesse […] se retrouvent en vieillesse, P2 et viennent les corps tormenter, P3 la mort font venir et haster, P4 trop soupper et banqueter assoment gens communement. C’est à dire les excès de toutes sortes faits pendant la jeunesse ont de fâcheuses conséquences dans la vieillesse, et le bon sens indique que trop manger ne peut qu’assommer les gens. «En somme» attribue au constituant Q qu’il introduit, une fonction réactive d’évaluation: que ce Banquet evidamment ses adherens tue et consomme.
6. Car puisque l'Evangile est le souverain et dernier remede que Dieu donne aux hommes pour les guarir, tous ceulx auxquels ce remede ne prouffite de rien sont desesperez, et ceulx qui à leur escient rejettent le medecin, ou se jouent de luy, cerchent leur mort en tant qu'en eulx est. Pour conclure cest article, je dy «en somme» que ceulx qui estiment l'impieté estre un crime enorme, comme elle est, recognoissent combien Dieu prise son Evangile, quand il fait une punition si rigoreuse de ceulx qui n'en ont tenu compte. (Calvin:1550, Des scandales)
En (6) l’expression «pour conclure cest article» suffirait à introduire directement la conclusion. «En somme» introduit un acte directeur qui revient sur deux constituants : P1 tous ceulx auxquels ce remede ne prouffite de rien sont desesperez, et P2: ceulx qui à leur escient rejettent le medecin, ou se jouent de luy, cerchent leur mort en tant qu'en eulx est. La conclusion «en somme» introduit un argument Q qui est orientée vers la visée argumentative (seulement l’évangile peut nous aider dans nos problèmes, ceux qui n’en tiennent pas compte sont désespérés), et qui est formulée en: ceulx qui estiment l'impieté estre un crime enorme, comme elle est, recognoissent combien Dieu prise son Evangile, quand il fait une punition si rigoreuse de ceulx qui n'en ont tenu compte. Cette conclusion Q se trouve trop loin des éléments qui composent P et peut poser des difficultés à être repérée; c’est pourquoi tous les segments qui composent P1 et P2 sont introduits par le pronom «ceulx».
7. Mais il requiert qu’il appert de quelle affection nous avons esté meuz à remuer l'estat de la chrestienté, veu que la plus part de ceux qui font profession de l'Evangile sont tellement empeschez à leurs negoces particuliers qu'il ne leur chault pas beaucoup de corriger les vices, de mettre bon ordre et police par tout, et «en somme» d'augmenter le royaume de Jesus Christ. (Calvin: 1550, Des scandales)
D’après Schelling (1982: 84) le connecteur «en somme» présente la visée argumentative[8] qu’il entretient avec la séquence préalable comme non-programmée ; en ceci son emploi n’est pas tributaire d’une structure argumentative dont il rend explicite la visée.
En (7) on ne peut pas supprimer le connecteur et le constituant qu’il introduit, sans effacer la valeur argumentative de ce qu’il connecte et sans rendre peu pertinent tout enchaînement sur la suite du discours. C'est-à-dire, ce n’est qu’à travers la reformulation: augmenter le royaume de Jesus Christ, que le locuteur réinterprète les segments discursifs qu’il connecte; il faut connaître les défauts de la chrétienté pour les corriger et ainsi augmenter le royaume de J.C.
Voyons un autre exemple:
8. LA MERE […]
Je cuydoye estre rouge vestue
Et que j'avoys ung grant chappeau.
FILIUS
Dame, je seray cardinal,
C'est fait, tost, tost ma mere […]
LA MERE
Mon filz, vous serez cardinal ! […]
FILIUS
Dame, je vous feray grosse feste […]
LA MERE
Puis après cela je songé
Et me sembloit que je vëoys
Ung vieillart barbu, enchappé,
Qui tenoit une grosse clef.
FILIUS
Tredille, ma mere, c'est fait,
Je seray ung [ung] pape parfait,
Plus ne me fault que aller a Romme.
LA MERE
Pape, pape comment ?
FILIUS
En somme,
Je le seray jusque ou talon. (Anonyme:1515, Farce de Maistre Jehan Jenin, vray prophète, à deux personages)
Cette intervention du fils répond apparemment à la question de la mère, pape, pape comment?, mais avec le connecteur «en somme» le locuteur indique que le mouvement discursif amorcé préalablement n’a pas lieu d’être poursuivi, car il a déjà opéré la synthèse et retenu le dénominateur commun: ces rêves indiquent qu’il va devenir pape.
Or cette reformulation se fait sur un ton ironique puisque le locuteur tire une conclusion sans avoir aucun indice réel sur lequel s’appuyer, si ce n’est le rêve imprécis de sa mère exprimé en P; (P1 Je cuydoye estre rouge vestue et que j'avoys ung grant chappeau, et P2 Puis après cela je songé et me sembloit que je vëoys ung vieillart barbu, enchappé, qui tenoit une grosse clef). En somme réfère à un mouvement discursif non exprimé linguistiquement. Ici la reformulation prend plutôt la valeur d’une reformulation récapitulative qui marque la reprise de l’argument principal devenir pape (sans tenir compte des éléments), mais y ajoute comme conclusion un segment hyperbolique et ironique non déductible d’un point de vue préalable, de là l’ironie de ce segment.
Voilà d’autres exemples où en somme introduit une conclusion sur un ton burlesque:
9. Mais les femmes disoyent: «soit un fantosme ou non, si est-ce qu'il s'est deporté avec nous amoureusement, et en une nuict une fois, voire six, et sa preuve a esté en maistre» et en somme qu'il s'estoit bien deporté, et d'autres propos. (Palma-Cayet:1598, L'Histoire prodigieuse du Docteur Fauste)
En (9) le connecteur coupe court au discours antérieur et propose une conclusion, aussi sur un ton ironique. Il renvoie à deux constituants qui lui sont contextuellement attachés: il s'est deporté avec nous amoureusement, […] et et sa preuve a esté en maistre. Il introduit un énoncé: il s'estoit bien deporté, et d’autres propos, résultat du raisonnement opéré à partir des propriétés argumentatives inférables au mouvement discursif antérieur.
10. Je laisse à dire les poinctes secretes que vous aviez à sentir en vostre esprit. Car si c'est un mal dur à porter que viduité, ce ne vous estoit pas petite destresse d'estre privé d'une telle compaigne. En la fin, vostre petite fillette, pour faire le comble de voz douleurs, vous meurt pareillement. Cependant Sathan ne cessoit point de vous faire les plus rudes assaulz qu'il luy estoit possible, pour accabler du tout vostre esprit, lequel desja estoit tant tormenté d'autre part. «En somme», il vous a fallu en demi an avaller doucement plus de tristesses et adversitez que n'en ont enduré quelques uns tout le temps de leur vie (Calvin : 1550, Calvin à Monsieur de Normandie)
Dans cet exemple «en somme» indique aussi que le mouvement discursif amorcé préalablement n’a pas lieu d’être poursuivi. Il privilégie sa portée temporelle: après plusieurs situations de détresse, la mort de sa femme, «en la fin» de sa petite fille situées dans le temps l’une après l’autre, il finit le récit avec en somme, il vous a fallu en demi an avaller doucement plus de tristesses. C'est-à-dire, il y a une fonction de «en somme» récapitulatif qui cherche le dénominateur commun des segments précédents, opère une coorientation de ces arguments pour y conclure en même temps qu’il envisage une dimension temporelle.
En ce qui concerne le XVIIe siècle, nous travaillons principalement sur deux auteurs : Serres et Garasse avec des styles très différents, ce qui est important pour le travail qui nous occupe.
Dans l’œuvre de Serres étant donné la matière de son étude (l’agriculture), on ne trouve pas le connecteur «en somme» introduisant de segments discursifs burlesques. Pour ce qui est de cette locution adverbiale comme expression désuète, son emploi abondant dans cette œuvre est peut-être justifié par la matière du traité dont le langage évolue très lentement. D’autre part si l’on considère que ce connecteur a pour fonction d’opérer la synthèse des arguments qu’il réévalue, son emploi est intéressant du point de vue pédagogique, car après plusieurs segments discursifs, «en somme» permet de récapituler la formulation envisagée.
Garasse par contre utilise ce connecteur pour des reformulations ironiques, manière de reprocher et ridiculiser certaines conduites.
Voici un exemple:
11. (le terrain) Le maigre et léger, ne requiert tant de façons: mesme de n'estre guères remué en esté de peur que la chaleur n'en espuise toute la substance Mais bien ès autres saisons, spécialement de l'automne et de l'hiver, veut-il -il estre labouré, pour le grand secours de leur humeur en terre légère, à laquelle s'incorporant de longue-main, la prépare à recevoir toute sorte de grains, avec profit. «En somme», toutes terres, grasses ou maigres, sèches ou humides, demandent diligente culture, selon leurs diverses qualités, sur toutes celles qui proviennent de la bonne saison ; dont une seule oeuvre donnée à propos, profite plus, que plusieurs autres: s'aidant lors la terre à recevoir le bon traictement, quand elle est bien disposée avec contentement […] (Serres : 1603, Le Théâtre d'agriculture et mesnage des champs)
L’auteur parle en (11) du terrain maigre et léger, avant il a parlé de plusieurs autres terrains. Le connecteur marque une opération conclusive de récapitulation qui lui permet de revenir sur les formulations précédentes pour en tirer le point focal et coorienter les arguments sur lesquels il porte : en somme, toutes terres, […] demandent diligente culture. D’autre part il prend en charge ce point focal pour le parfaire avec d’autres arguments complémentaires avec lesquels l’auteur veut continuer à développer ses théories; Q toutes […] terre demandent diligente culture, arguments complémentaires: selon leurs diverses qualités, sur toutes celles qui proviennent de la bonne saison […] (Fayol; Le résumé: un bilan provisoire des recherches de psychologie cognitive 1992) soutient que les récapitulations sont souhaitables dans les écrits théoriques.
En (12) en somme prend en même temps que le caractère récapitulatif, celui de structuration du discours, puisqu’il marque la fin du développement discursif.
12. Ce seront pour le moins ceux qui chéent d'eux-mesmes des arbres, qu'on ne leur espargnera : non plus que les figues demi-gastées par faute de temps propre à sécher; ne les cormes, qui leur agréent fort. Les glands concassés leur sont bons, le marc des raisins, et des fruits, desquels l'on a exprimé le jus pour boisson: et en somme, les poissons mangeront tout ce que leur voudrés donner. (Serres: 1603, Le Théâtre d'agriculture et mesnage des champs)
Il est question de l’alimentation des poissons: le segment les poissons mangeront tout ce que leur voudrés donner met fin au discours. Tous les constituants qui forment le premier segment discursif sont repris sous la forme d’une conclusion qui a pour caractéristiques : a) d’être plus courte que l’énoncé qui la précède, b) de condenser l’énoncé antérieur, c) d’être équivalent, du point de vue sémantique, à l’énoncé premier. (Fayol; 1992: 65, 66)
Par rapport aux 78 exemples de Garasse étant donné que le sujet de sa dissertation est bien différent, nous allons étudier si cela est significatif pour les instructions du connecteur qui nous occupe.
13. voicy comme Nicetas en parle en termes exprés, et comme tesmoin oculaire du faict, [...]: il y eut un je ne sçay qui nommé Theophile, homme ridicule, bouffon, basteleur, impudique par-dessus tous les impudiques du monde, «en somme», dit-il, on peut dire, qu' il estoit le patriarche des meschans (Garasse: 1623, La Doctrine curieuse des beaux-esprits de ce temps)
En (13) le connecteur «en somme» introduit une reformulation : il estoit le patriarche des meschans, qui va être une réinterprétation de sa première formulation : il y eut un je ne sçay qui nommé Theophile, homme ridicule, bouffon, basteleur, impudique par-dessus tous les impudiques du monde. Le jugement moral, vraiment sévère, introduit par le connecteur, fait le bilan ou la synthèse du premier énoncé ; le connecteur spécifie la nature de l’opération effectuée, le fait d’être le patriarche des méchants, est «la somme» de tous les attributs de Théophile (homme ridicule, bouffon, basteleur, impudique). Le locuteur se met à distance, au moyen de dit-il, du jugement de Nicetas.
Dans les deux exemples suivants (14) et (15) le caractère ironique de la conclusion a la même visée argumentative que les constituants sur lesquels il porte. Voilà pourquoi cet auteur qui tire profit du burlesque pour instruire, emploie souvent en somme remplaçant à d’autres connecteurs possibles et plus à la mode à l’époque.
14. ils disoient le palais par antiphrase, pour dire du vinaigre ou du vin au bas, ils disoient, le doux, ou la douceur, pour dire la mort, ils usoient du mot du tout contradictoire; car ils l' appelloient la bien-heureuse, la fange ils l' appelloient le crystal, le fiel ils l' appelloient le miel. Il sembloit que ces gens eussent entrepris de faire une farce, pour se moquer des autres nations : en somme, comme nous voyons par l' exemple de ces deux athées dont je viens de parler, pour dire un impie, ou un athée, ils eussent dit un theophile . (Garasse: 1623, La Doctrine curieuse des beaux-esprits de ce temps)
Il y a donc, en (14) une double ironie, d’un coté on a recours à l’implicite sur Théophile, (précédemment, en (13), Théophile est décrit comme un personnage impudique et méchant) et d’autre part, la reformulation-même, la conclusion, est tirée des segments précédents; tout est nommé par opposition à ses aspects sémantiques: le palais est l’antiphrase, le vinaigre et le vin sont le doux et la douceur, et la mort la bien heureuse. C’est le connecteur «en somme» qui articule ces segments et les prend rétrospectivement comme arguments pour Q: pour dire un impie, ou un athée, ils eussent dit un theophile, (Théophile, celui qui aime Dieu, pour nommer un athée).
15. J' ay appris autresfois d' Aristote et d' Arnobe deux belles maximes qui me serviront de fondement, la premiere est touchant la nature de l' ame raisonnable : car Philoxenus qui estoit musicien parlant de l' ame, tenoit que c' estoit un accord des passions, Galen qui estoit medecin estima que l' ame fust une mixtion temperée d' humeurs, Democrite qui estoit pointilleux, soustenoit que l' ame estoit un assemblement d' atomes, Epicure qui estoit tout de lard croyoit que l' ame fust materielle et corporelle: «en somme» je pense que si un laboureur eust philosophé touchant la nature de l' ame, il eust dit que c' estoit comme une charruë ou comme un aiguillon, tant tout le monde flatte ses pensées et ses humeurs. (Garasse: 1623, La Doctrine curieuse des beaux-esprits de ce temps)
En (15) l’acte principal reprend le point focal et la visée argumentative du mouvement discursif précédant, mais y introduit du burlesque. Le locuteur prend en charge les arguments précédents: P1 Philoxenus qui estoit musicien parlant de l' ame, tenoit que c' estoit un accord des passions, P2 Galen qui estoit medecin estima que l' ame fust une mixtion temperée d' humeurs, P3 Democrite qui estoit pointilleux, soustenoit que l' ame estoit un assemblement d' atomes, P4 Epicure qui estoit tout de lard croyoit que l' ame fust materielle et corporelle et y ajoute un nouvel argument récapitulatif comme conclusion en Q : si un laboureur eust philosophé touchant la nature de l' ame, il eust dit que c' estoit comme une charruë ou comme un aiguillon. Cet argument vient clore le discours dans la même visée argumentative qui correspond à la visée intentionnelle globale du mouvement discursif précédent: chaque artiste se croit préparé pour juger la nature de l’âme selon ses principes. Le ton ironique est d’autant plus clair que le laboureur va se permettre raisonner sur la nature de l’âme.
Cependant, dans notre corpus, il est souvent difficile de repérer les segments discursifs sur lesquels porte la reformulation introduite par le connecteur, ce qui d’ailleurs arrive aussi dans le français actuel:
Il est souvent difficile de décider si la reformulation porte sur un constituant antérieur du discours ou sur un implicite et, dans le premier cas, de déterminer avec précision la dimension du constituant du discours qui est subordonné rétroactivement. Ce n’est pas gênant pour l’interprétation, car la reformulation vise souvent davantage à marquer un changement de perspective énonciative par rapport au discours antérieur qu’à reformuler (au sens étroit du terme) un constituant déterminé de celui-ci. (Roulet ; 1987: 116).
Si on fait appel aux dictionnaires visités au commencement de l’article, on voit que Furetière présente une entrée spécifique pour cette locution : se dit adverbialement pour conclusion, de même que le Trésor de la langue française : enfin, en résumé, en conclusion. Les autres dictionnaires ne signalent pas de différences entre les trois adverbes.
Pour ce qui est du le français actuel, seulement Roulet (1987 : 128) présente une description spécifique pour «somme toute»:
(Ce connecteur) indique la portée de l’opération effectuée. La nouvelle perspective énonciative est présentée comme le résultat de la prise en compte de la totalité des éléments envisagés précédemment, voire envisageables. […] La référence à la totalité autorise la prise en compte non seulement des éléments concordants, comme nous l’avons signalé pour en somme, mais de tous les éléments, qu’ils soient positifs ou négatifs.
«Somme tout» est un connecteur conclusif qui présente la nouvelle perspective énonciative, comme le résultat de la prise en compte de la totalité des éléments envisagés précédemment, -minimalement deux-. Quant à ses instructions argumentatives, il tient compte de la présence d’un implicite de nature complexe qui met en jeu des visées argumentatives et des polarités contradictoires associées à ces visées.
16.- Mon amy (dist il), les damoyselles de ceste ville avoyent trouvé, par instigation du diable d'enfer, une maniere de colletz ou cache coulx à la haulte façon, qui leur cachoyent si bien les seins que l'on n'y povoit plus mettre la main par dessoubz, car la fente d'iceulx elles avoyent mise par derriere, et estoyent tous cloz par devant, dont les pauvres amans, dolens, contemplatifz, n'estoyent contens. Un beau jour de mardy, j'en presentay requeste à la Court, me formant partie contre lesdictes damoyselles et remonstrant les grans interestz que je y prendroys, protestant que à mesme raison je feroys couldre la braguette de mes chausses au derriere, si la Court n'y donnoit ordre. «Somme toute», les damoyselles formerent syndicat, monstrerent leurs fondemens et passerent procuration à defendre leur cause ; mais je les poursuivy si vertement que par arrest de la Court fut dict que ces haulx cache coulx ne seroyent plus portez, sinon qu'il feussent quelque peu fenduz par devant. Mais il me cousta beaucoup. (Rabelais : 1542, Pantagruel)
En (16) l’énoncé est formé de plusieurs constituants : P1 mon amy (dist-il), les demoiselles […] cloz par devant dont la valeur argumentative implicite est : les femmes sont satisfaites de leurs vêtements, P2 dont les pauvres amans […] n’estoyent contents, qui présentent comme valeur argumentative une situation déplaisante pour les amants, dont la conséquence directe se trouve dans le constituant suivant : Un beau jour de mardy, j'en presentay requeste à la Court.
«Somme toute» interprète ces deux visées argumentatives contradictoires par rapport à une visée intentionnelle globale qui légitime cette contradiction: Somme toute, les damoyselles formerent syndicat, monstrerent leurs fondemens et passerent procuration à defendre leur cause.
Voilà un autre exemple :
17. j'ay mis mon cueur en ceste fille (il y a environ deux mois) j'ay tasché par tous moyens d'en jouir : et mesmes il n'a pas esté jusques là, que je ne l'aye fait demander en mariage : mais mon pere (qui est avare et chiche, comme tu sçays) à cause qu'il voyoit le pere de Fleurdelys un peu souffreteus, comme celuy qui a despendu beaucoup de son bien à hanter les guerres, me contredit aigrement, et me tança fort et ferme, disant que j'estois trop jeune, et que ce n'estoit pas encor à moy à parler de mariage : Voyla pourquoy je me plaignois à cest heure à part moy : mais «somme toute», j'ay deliberé (puis que mon pere n'y veut point autrement entendre) d'avoir la fille, par le moyen plus expedient pour moy. (La Taille : 1573, Les Corrivaus)
Dans cet exemple il y a plusieurs référents temporels qui vont conduire le discours à travers le temps. Dans le passé : il y a environ deux mois, jusques là et encor. Dans le présent : à cest heure. «Somme toute» reprend cette progression temporelle et marque la fin du procès.
Le mouvement discursif mais mon père […] me contredit aigrement, et me tança fort et ferme […] représente une fonction interactive d’explication qui marque une contradiction entre la visée argumentative qui se rapporte au désir du fils et les arguments présentés par le père. Le mouvement discursif de «mais» serait : p = je suis amoureux de Fleurdelys, on aurait tendance à conclure r =cela devrait entraîner mon mariage; il ne faut pas, car q = mon père s’oppose à notre mariage, (q étant présenté comme un argument plus fort pour non-r que n’est p pour r1).
«Somme toute» prend en compte la totalité des constituants du mouvement discursif précédent. Ces constituants (à différence de «en somme») présentent des visées argumentatives contradictoires: il y a des éléments à polarité positive (j’ai mis mon cueur […] mariage, et d’autres à polarité négative (mais mon père […] me contredit aigrement et me tança […] parler de mariage. Le connecteur va réorienter la nouvelle perspective énonciative dans le but de conclure Q : j’ai deliberé d’avoir la fille, par le moyen plus expedient pour moy.
La Curne présente «somme» comme une locution adverbiale qui signifie «bref», «en résumé».
Cette locution, est presque disparue au XVIIe siècle. Nous allons nous servir des études faites sur «bref» parce qu’à notre avis, il spécifie les mêmes opérations que «somme».
«Bref» est donné par le Petit Robert comme équivalent sémantique de «enfin» et de «en résumé».
«Somme» est un adverbe d’énonciation qui fait allusion au dire plutôt qu’au dit, car il opère au plan de l’activité énonciative.
18. Par quoy un chascun de l'armée commencza martiner, chopiner et tringuer de mesmes. Somme, ilz beurent tant et tant qu'ilz s'endormirent comme porcs, sans ordre, parmy le camp. (Rabelais : 1542, Pantagruel)
Cet exemple n’admet pas la mise en relief : *c’est somme qu’ilz beurent ni l’enchâssement *je dis que somme ils beurent, ni le déplacement :*ils beurent tant et tant, somme.
«Somme» indique que le locuteur revient sur sa première formulation pour y effectuer une certaine opération, en l’occurrence pour en tirer l’essentiel ou opérer la synthèse, sans remettre en question sa première formulation, sans modifier sa perspective énonciative. (Fayol ; 1992)
19. ainsi ung bailleur du plat de la langue, ung entomisseur, «somme» ung flateur. (Du Saix : 1537, La Touche naifve pour esprouver l'amy et le flateur inventée par Plutarque, taillée par Erasme et mise à l'usage francoys)
Le segment introduit par «somme» reprend les deux constituants de l’énoncé qui figurent dans le contexte antérieur, ung bailleur du plat de la langue, ung entomisseur. Cette opération a la même caractéristique que le marqueur d’opération résumante «bref» : expression réduite à l’essentiel d’un énoncé premier.
Dans ce cadre général émergent des sous-catégories, dès lors le connecteur spécifie la nature de l’opération effectuée sur E1 et, partant, la visée discursive du locuteur. Ainsi l’usage de marques telles que «bref», «en somme» par exemple, permet au locuteur de «revenir sur sa première formulation «pour en tirer l’essentiel»; (Rossari : 349-350) ou encore «d’opérer la synthèse» d’un mouvement discursif préalable» (Roulet et alii : 154) (C’est ce que nous soulignons), sans pour autant remettre en question sa première formulation, sans modifier sa perspective énonciative. Les connecteurs qui remplissent cette fonction sont appelés connecteurs récapitulatifs. (Schnedecker; 1989 : 65)
20. Or ung flateur ne pense aultre chose, ailleurs n'a regard, sinon tousjours à inventer ou jeu ou choses ou termes nouveaulx et comptes estranges, gracieux et voluptueux. Somme, ung adulateur ne laisse rien en arriere pour estriller fauveau et pour complaire (Du Sax : 1537, La Touche naifve pour esprouver l'amy et le flateur inventée par Plutarque, taillée par Erasme et mise à l'usage francoys)
Le premier énoncé est composé de deux propositions : Or ung flateur ne pense aultre chose, et ailleurs n'a regard, sinon tousjours à inventer, face à sa reformulation qui n’en présente qu’une : ung adulateur ne laisse rien en arriere.
21. Au demourant, s'ilz hantent et conversent avecques gents oysifz qui fuyent le midy et la lumiere d'honnestes administrations, «somme» qui ne veulent rien faire, (Du Sax : 1537, La Touche naifve pour esprouver l'amy et le flateur inventée par Plutarque, taillée par Erasme et mise à l'usage francoys)
Dans ce cas-là, l’homogénéité de la séquence textuelle (pronom qui) permet d’identifier E1: (gents oysifz) qui fuyent le midy et la lumiere d'honnestes administrations, et E2 (somme) qui ne veulent rien faire.
C'est-à-dire le repérage de E1 peut se faire par sa relation de proximité avec E2, cas le plus fréquent, ou bien par sa parenté syntaxique : qui fuyent, qui ne veulent, ce qui aide à son identification lorsque l’objet du discours est loin, ou séparé de E2 par un sous-thème.
22. subitement: «La petitesse de mon esprit, Madame, encor que le coeur soit bon, ne correspond en rien à la grandeur de vostre vouloir; […]. Pour quoy je vous supply que, me chargeant si pesamment, ne faciez ma cheute servir de risée et moquerie au peuple. - Et comment (repliqua elle soudain) estimes-tu qu'il ne soit en ma puissance faire de toy, si tu m'aymes, ce que j'ay fait de plusieurs autres? […] «Somme», je veuil que ce mien ami Mercure te preste aide et faveur en tout et par tout où le voudras employer; (Taillemont: 1553, Discours des Champs faëz. A l'honneur, et exaltation de l'Amour et des Dames)
Dans ce dialogue on ne peut pas suivre le même schéma que dans les autres exemples. Le rapport que le locuteur établit entre E2 (composé d’un nombre de constituants assez pluriel) et E1, à travers le connecteur, est celui de mettre terme à une séquence discursive jugée finie et introduire une nouvelle orientation au discours : la demande d’aide à Mercure. En somme, clore un discours pour en commencer un autre dont la thématique est un peu différente.
23. […]choses non encores veues en AEgypte, esperoit par offre de ces nouveaultez l'amour du peuple envers soy augmenter. Qu'en advient-il ? à la production du chameau tous feurent effroyez et indignez ; à la veue de l'home biguarré aulcuns se mocquerent, autres le abhominerent comme monstre infame, créé par erreur de nature. «Somme», l'esperance qu'il avoit de complaire à ses AEgyptiens, et par ce moyen extendre l'affection qu'ilz luy pourtoient naturellement, luy decoulla des mains. (Rabelais : 1552, Tiers livre)
Pour prendre en considération le segment discursif repris par la reformulation, E2 doit pouvoir repérer l’énoncé sur lequel il revient, voilà pourquoi sur (23) il reprend le segment discursif esperoit par offre de ces nouveaultez l'amour du peuple envers soy augmenter par un mot anaphorique l'esperance qu'il avoit, ou encore ung flateur sur (20) est repris par ung adulateur, ce qui va jouer un double rôle ; revenir sur l’énoncé précédant et enrichir l’information introduite dans le segment reformulatif.
On pourrait se demander si l’emploi d’expressions nominales indéfinies en tête de la reformulation va rompre la continuité. Apparemment oui, mais il n’en est rien ; elle est plutôt l’effet d’une prédication intermédiaire du type : P ainsi ung bailleur du plat de la langue, ung entomisseur et Q = somme ung flateur. Voilà les symptômes par lesquels le locuteur catégorise des éléments de E1 pour aboutir à une nominalisation qui en subsume la valeur sémantique (Fayol; 1992: 74)
24. envelopper leurs quenoilles, confondre leurs hanicrochemens, instruire leurs metz, calfeutrer leurs travoilz, emmancher leurs sabotz, crocheter leurs contrehuys. «Somme» c'estoit une merveilleuse debausche. (Du fail : 1548, Les Baliverneries d'Eutrapel)
25. Le labeur de buffles, […],est bon en terres grasses et argilleuses […] Toutesfois ils durent plus long temps à la peine, et sont plus diligents que les beufs. «Somme» ce bestial sert, et vaut outre le labeur, pour le laict, et pour le cuir, plus que la vache ou le beuf. (Estienne : 1564, L'Agriculture et maison rustique)
Dans notre corpus, l’anaphore démonstrative c’est et ce sont très fréquentes (24, 25), mais il y a d’autres types d’anaphores :
Registres, enquestes, replicques, reproches, salvations et aultres telles diableries […] Somme, tous les papiers […].anaphore nominale hyperonyme.
Fayol (1992) étudie trois opérations différentes par lesquelles le locuteur procède à réduire son premier énoncé :
a) Par effacement :
26.- Je l'avoie, me sembloit, choisie (mais combien faulsement) et triée entre mille […]. J'avois attincte mes bezicles, je dy comme il failloit […] Item j'avois esté au devin, où m'avoit costé deux bons carolus sans mes despens. Somme», j'avois faict ce qu'un homme de bon esprit doibt, (Du Fail : 1548, Les Baliverneries d'Eutrapel)
Somme, j'avois faict reprend toutes les expansions verbales : choisie, triée, attincte, esté au divan, costé, qui sont réduites à un verbe générique comme j’avois faic.
b) Par construction :
27. Qui ne laisse rien trainer, ny dechoir : soit le premier levé, et le dernier couché, ne hante les marchez, foires, ne villages, si ce n'est pour ses necessitez. Se garde des conventions apres boire, et ne laisse rien anticiper sur son labour, car un poulce deterre perdu en l'an, en vault un pied deux ans apres. […]. «Somme» un bon mestayer doit estre paisible, endurant, et actif, […] (Estienne: 1564, L'Agriculture et maison rustique)
Cette nouvelle proposition vient remplacer une série de propositions qui sont des composantes indispensables pour la formulation de celle-ci. Les caractéristiques du bon métayer formulées en E1 sont reprises en E2, tenant compte des éléments positifs et négatifs qui déterminent le stéréotype du bon laboureur.
c) Par généralisation :
28. est estimé (par les Laboureurs qui le recognoissent) le meilleur chien du tout ce qu'on le veult employer, soit au lievre, au loup, au sanglier, à la beste faulve, à la plume, à l'eau, au rabat, au blereau, au regnard, au loutre, au terrier, au raport du trait, «somme», c'est l'outrepasse. (Alcipre : 1580, La Nouvelle fabrique des excellents traicts de verité)
Bien que l’outrepasse, -le comble- n’appartienne pas à la même catégorie sémantique des constituants situés dans le premier énoncé, il sert de même à les généraliser, ce qui ne veut pas dire qu’il s’impose comme une évidence, c’est la présence du connecteur qui détermine que l’outrepasse synthétise les constituants de E1.
Voici le tableau qui nous montre le devenir de [somme] pendant le XVIe et XVIIe siècles :
Siècle | Occurrences | Nº | % |
---|---|---|---|
XVI siècle | en somme | 185 | 67,76 |
somme toute | 16 | 5,86 | |
somme | 72 | 26,38 | |
Total | 273 | 100,00 |
Siècle | Occurrences | Nº | % |
---|---|---|---|
XVII siècle | en somme | 205 | 2,76 |
somme toute | 1 | 0,45 | |
somme | 1 | 6,79 | |
Total | 221 | 100,00 |
C’est le connecteur «en somme» qui nous semble le mieux défini. On pourrait l’étudier à partir de ce même connecteur en français actuel, car la description ci-après est valable aussi bien pour le français du XVIe et XVIIe siècles que pour le français moderne: il présente la nouvelle perspective comme le résultat de la prise en compte de plusieurs éléments envisagés préalablement, considérant uniquement les éléments concordants. Cependant il a souffert la concurrence d’autres connecteurs plus à la mode à l’époque.
À la différence du français actuel il est souvent employé pour proposer une conclusion sur un ton ironique, ce qui a permis à certains auteurs du XVIe et du XVIIe siècles de tirer un grand profit de ce connecteur.
Le connecteur «somme toute» du XVIe et XVIIe siècles est quelque peu différent de celui du français contemporain, surtout parce qu’il peut établir aussi un rapport temporel qui s’ajoute à la prise en compte de la totalité des éléments envisagés précédemment. Il est remplacé par le connecteur «enfin», très fréquent au XVIIIe siècle, époque à laquelle somme toute a entièrement disparu. à l’époque qui nous occupe, «somme toute» était en train de disparaître. Vaugelas (1647, Remarques sur la langue française: 31) lui-même signale: "Puisque l’on ne veut plus recevoir «en somme», on recevra moins «somme» pour «en somme», dont nos meilleurs écrivains se servaient il n’y a pas très longtemps, et beaucoup moins encore «somme toute»".
Pour «somme», cette étude montre qu’il déclenche en français préclassique et classique le même processus que «bref» en français moderne: il extrait l’information essentielle d’un segment discursif précédant et reformule ces informations d’une manière cohérente (cela en fonction des contraintes que l’on vient d’étudier).
«Somme» et «bref» partagent au XVIe et XVIIe siècles cette même activité conclusive et résumante, au point que leurs rôles ne sont pas toujours bien définis. Voici un exemple: après avoir décrit les qualités et problèmes des chardons, du chardonnet, du mouron rouge et bleu la mercurie masle te femelle et un grand etc., un texte de Charles Estienne de 1564, continue: le myrrhis est de grande vertu et odeur de myrrhe, bref la carrotte et le charnis servent grandement à la nourriture et bonté du foin. Somme le pré bien entretenu et conservé raporte tousjours le double, contre le mal gouverné et mesnagé. Etonnamment, «bref» a la valeur de «pour conclusion», mais il y a nulle équivalence axiologique ni volonté d’extraire l’argument principal de E1, c’est tout simplement la fin d’une énumération, la ponctuation (virgule) révèle cette volonté. Par contre «somme» propose un E2 marqué axiologiquement, par rapport à un E1 non marqué, et sert à récapituler l’énoncé. L’emploi du premier connecteur - «bref» - se doit surtout au désir de ne pas répéter la même formule, c’est pourquoi le locuteur choisit entre deux connecteurs qui lui semblent équivalents.
[1] Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet de recherche HUM 2007-60060/FILO du Ministère de l’Éducation National espagnol, dirigé par la Professeur A. Rodríguez Somolinos. Retour
[2] Seront appelés réévaluatifs les connecteurs qui marquent l’acte directeur (ou principal) et qui présentent celui-ci comme le résultat d’une reconsidé ration d’un ou plusieurs acte(s) ou intervention(s), qui sont subordonnés rétrospectivement à cet acte. Retour
[3] Mouvement discursif est pour Roulet tout constituant discursif donné comme autonome à un moment donné de l’interaction. Retour
[4] Notation [somme] correspond aux trois connecteurs objet de notre étude : en somme, somme toute, somme. Retour
[5] Par ses propriétés, Schelling classe ce connecteur dans la catégorie des conclusifs. Retour
[6] Par la nature de ses instructions fonctionnelles, ce connecteur a le statut de récapitulatif. Retour
[7] Comme ce connecteur ne peut renvoyer qu’à une pluralité de points de vue, la notion de dénominateur commun se rapporte à une entité complexe. Retour
[8] Ce concept peut se justifier si l’on tient compte du fait que la compréhension d’un énoncé passe par l’obligation pragmatique de lui associer une certaine « visée intentionnelle ». Cette visée peut être illocutoire ou argumentative. Ces deux propriétés ne s’excluent pas à priori : elles peuvent être co-présentes dans un même énoncé. (Schelling 1982: 64) Ici on considère la visée argumentative d’un mouvement discursif complexe. Retour
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