L'apprentissage en autonomie

I. Introduction

Cet article s'inscrit dans le domaine de la didactique des langues, plus particulièrement dans le domaine de l'apprentissage autodirigé des langues étrangères. Il a pour objectif général de brosser un tableau des caractéristiques principales de l'apprentissage en autonomie, ceci d'après les écrits portant sur les moyens proposés par la didactique des langues concernant les modalités pratiques des prises de décision pour faciliter cet apprentissage en autonomie.

Par le biais de cet article nous tenterons de répondre à plusieurs interrogations :

Dans une première partie, et dans l'intention de décrire l'enseignement institutionnel des langues étrangères, nous nous interrogerons sur les méthodes dont se servent aujourd'hui les professeurs pour enseigner les langues étrangères et pour évaluer les connaissances des apprenants dans ces langues répondent aux besoins de ces derniers? De nos jours, quels aspects de la langue cible sont-ils privilégiés par les professeurs de langues étrangères en salle de classe?

Ensuite, nous nous interrogerons sur les changements à apporter afin de changer l'enseignement de langues, dans ce but nous aborderons la question: Que faire pour susciter l'intérêt de l'élève à l'égard de son apprentissage?

Finalement, dans une deuxième partie, nous cernerons notre sujet de recherche en essayant de répondre aux questions suivantes: Qu'est-ce que l'apprentissage en autonomie ? En quoi consistent les modalités pratiques des prises de décision proposées par la didactique des langues pour faciliter l'apprentissage en autonomie des langues étrangères et et quel est le rôle de l’apprenant en ce qui concerne ces modalités d’apprentissage d’une part et celui de l’enseignant et ses nouvelles responsabilités d’une autre part pour conclure avec les avantages que présente un tel apprentissage en autonomie. Quels sont les avantages que présente un tel apprentissage en autonomie?

Pour répondre à ces questions, nous adopterons la démarche suivante :

  1. Il s'agira, dans un premier temps, de dépeindre, de manière succincte, l'enseignement dispensé actuellement dans les milieux institutionnels. Dans cette intention, nous parlerons, entre autres, de l'efficacité ainsi que de la pertinence des méthodes d'enseignement et d'évaluation utilisées de nos jours par les professeurs de langues étrangères. Nous signalerons également les aspects de la langue qui jouissent encore d'un statut privilégié dans l'enseignement des langues étrangères. Nous viserons surtout à expliquer les raisons pour lesquelles, bien souvent, l'enseignement institutionnel des langues étrangères ne correspond pas aux besoins des apprenants. Finalement, en nous appuyant sur les travaux des didacticiens dans ce domaine, nous présenterons plusieurs alternatives pour changer cette façon d'enseigner les langues étrangères.
  2. Il importe dans un deuxième temps de proposer, comme une alternative pour l'enseignement des langues étrangères, une approche dont les principes ne sont pas nouveaux mais qui ne s'est pas encore imposée dans l'enseignement institutionnel: l'apprentissage en autonomie. Pour ce faire, nous présenterons d'abord, une définition du terme apprentissage en autonomie. Ensuite, dansle but de décrire les opérations par lesquelles sont définies les modalités pratiques des prises de décision ; c’est-à-dire, les moyens proposés par la didactique des langues, nous adopterons la subdivision du processus d'apprentissage proposée par H. Holec (1979 :105) :
    1. la détermination des objectifs
    2. la définition des contenus et des progressions
    3. la sélection des méthodes et techniques
    4. le contrôle du déroulement de l'acquisition
    5. l'évaluation de l'acquisition.

En outre, nous tenterons d'expliquer quel est le rôle de l'apprenant et dans quelle mesure celui-ci intervient dans ces modalités d'apprentissage. Finalement, en nous appuyant sur les travaux des auteurs qui se sont prononcés sur le sujet, nous essaierons de détailler le rôle de l'enseignant ainsi que ses nouvelles responsabilités dans un système d'apprentissage en autonomie.

Enfin, dans un troisième temps, afin d'illustrer la manière selon laquelle le concept d'apprentissage en autonomie peut être introduit dans un contexte institutionnel, nous suggérerons une occasion, parmi tant d'autres sur laquelle on pourrait s'appuyer, pour incorporer le concept d'autonomie en salle de classe; ceci pour un public d'étudiants adultes inscrits dans un cours de français langue étrangère au niveau avancé à l'université. Notre façon d’amorcer un tel type d'apprentissage se caractérisera par un outil qui nous semble indispensable pour l'apprenant autonome: l'Internet.

Nous nous sommes penchés sur l'apprentissage en autonomie comme sujet et objet de notre article car nous considérons qu'il est capital de vulgariser ce genre d'apprentissage. à notre avis, si l'on privilégiait les principes de cet apprentissage, dans l'enseignement institutionnel des langues étrangères, nous aurions non seulement des étudiants intéressés à apprendre, mais aussi des cours s'adressant à leurs besoins et des professeurs dont la tâche ne serait plus d'enseigner la langue cible mais d'apprendre à l'apprendre, d'assister leurs élèves et de faciliter leur apprentissage dans cette langue.

Le présent travail visera donc à réduire, en quelque sorte, la distance existant entre la recherche et la pratique dans la salle de classe, et à cerner les retombées pédagogiques qui peuvent découler d'une meilleure connaissance des travaux portant sur l'apprentissage en autonomie.

1. L'enseignement des langues étrangères

Si l'on devait qualifier l'enseignement des langues étrangères de notre époque on pourrait dire que les adjectifs "ennuyeux" et "routinier"[1] le qualifient assez bien. Malheureusement, et malgré les progrès de la recherche en Didactique des langues secondes, les professeurs de langues s'acharnent encore à utiliser de vieilles méthodes d'enseignement qui visent principalement à analyser des règles de grammaire et à les faire appliquer de façon immédiate, comme si l'apprentissage d'une langue dérivait exclusivement de ce savoir. Ces méthodes traditionnelles, dont l'objectif est de faire mémoriser des listes de mots et de compléter des exercices, s'avèrent peu pertinentes voire même inefficaces pour ce qui est de la pratique de la langue. En outre, les apprenants sont évalués d'après leur maîtrise des aspects grammaticaux de la langue cible. Cet enseignement qui privilégie particulièrement l'analyse de la langue en soi sans chercher à mettre l'élève en situation de compréhension ni en situation de communication contribue à développer chez celui-ci une attitude de passivité vis à vis de son apprentissage et l'amène à penser que s'il connaît la grammaire il pourra fonctionner par conséquent dans la langue cible. Janine Courtillon, dans son article sur la routine en salle de classe, a habilement illustré l'enseignement que nous venons de décrire et qui malheureusement est encore en vogue dans nos salles de classes:

Cet abus de vérification de type linguistique ou grammatical a une conséquence négative: elle conditionne les étudiants à n'attacher d'importance qu'aux seuls aspects formels et les détourne de l'acquisition des habiletés bien plus indispensables à ce niveau: savoir comprendre l'oral, savoir lire, s'entraîner à pratiquer la langue. (J. Courtillon, 1997:43)

Quant aux habiletés mentionnées par l'auteur: savoir comprendre l'oral, savoir lire et s'entraîner à pratiquer la langue, qui ont d'ailleurs fait l'objet de plusieurs recherches [2] dont les résultats confirment qu'il existe en effet des stratégies qui facilitent leur acquisition, on constate que celles-ci sont généralement négligées en salle de classe. Cette manière plutôt conventionnelle d'enseigner les langues adoptée par les professeurs, témoigne d'une méconnaissance absolue d'importantes découvertes des chercheurs concernant les stratégies et les méthodes à privilégier pour faciliter voire même accélérer l'apprentissage des langues étrangères.

Cet écart entre la recherche et la pratique a son origine dans le manque de communication entre la didactique et les professeurs de langues étrangères. R. Galisson (1986 :104) écrit à ce sujet:

C’est un fait admis que le discours des chercheurs, de cabinet en particulier, a beaucoup de mal à parvenir aux praticiens - l'édition spécialisée porte rarement jusqu'à eux-, et que les praticiens - faute de canaux éditoriaux - ont encore plus de mal à se faire entendre des chercheurs. Ce décalage à pour conséquence la mise à l'écart des résultats et analyses des chercheurs dans la pratique pédagogique. étant donné que les professeurs ne tirent pas d'avantages de ces recherches, ils continuent à travailler avec des méthodes peu motivantes.

Il est certain qu'un cours dont la démarche est routinière, un cours dans le cadre duquel les étudiants apprennent tous les mêmes sujets et ceci en même temps, ne contribue pas nécessairement à intéresser les étudiants. Par ailleurs, leur seule motivation dans ce contexte semble être basée sur la réussite dans le cours et non pas sur l'apprentissage de la langue cible.

De même, et considérant le fait que les étudiants ne voient pas en quoi cet enseignement pourrait les concerner particulièrement, nous nous interrogeons sur la pertinence de celui-ci et nous en arrivons à la conclusion qu'un tel enseignement ne correspond pas à leurs besoins. Les raisons sur lesquelles nous nous basons pour affirmer ceci sont les suivantes: ce type d'enseignement, privilégiant le linguistique plutôt que le communicatif, ne peut pas correspondre aux besoins de tous les apprenants car leurs besoins, voire même leurs intérêts, peuvent être aussi divers que le nombre de personnes dans un cours de langue. Nous pouvons parler de besoins langagiers [3], de besoins personnels, de besoins d'ordre psychologique, de besoins sociaux, etc. Il est clair qu'un enseignement homogène ne pourra jamais combler les besoins particuliers de chaque élève.

En outre, ces manières d'enseigner ne font qu'éloigner l'apprenant de son propre apprentissage, pire encore, elles vont le plonger dans un état de passivité à l'égard de son apprentissage. L'apprenant, ne se sent pas impliqué, sa participation ainsi que ses interventions sont circonscrites aux activités proposées par le professeur, et on assiste aussi à un enseignement/apprentissage peu motivant pour l'apprenant. L'enseignement reçu dans un contexte institutionnel ne vise pas à attaquer les problèmes spécifiques de chaque étudiant ni à satisfaire à ses besoins. Bref, il n'est pas en harmonie avec ses attentes ce qui semble, à nos yeux du moins, être la cause principale du détachement de l'apprenant de son apprentissage. Nous partageons le point de vue adopté par A. Lupo lorsqu'il déclare que:

L'institution est vue comme une sorte d'abstraction vers laquelle on aurait du mal à se retourner pour trouver la solution de ses problèmes d'apprentissage personnels. Par contre, l'enseignant est encore vu comme le seul responsable des réussites scolaires. (A. Lupo, 1988 :62)

D'un côté on retrouve cette inertie de la part de l'étudiant en ce qui concerne son apprentissage et de l'autre côté on constate que l'étudiant, à force de subir un enseignement, ne conçoit pas d'autre manière d'apprendre que celle dont il peut témoigner: un enseignement dans le cadre d'un cours, dans une institution, à des heures spécifiques, avec un professeur responsable de sélectionner le matériel du cours, de décider du rythme d'apprentissage, des moyens d'évaluation, etc. L'enseignant aux yeux de l'apprenant est le seul à posséder les capacités et les compétences nécessaires pour lui apprendre la langue cible. Il est perçu par l'élève comme le détenteur du pouvoir. Le professeur devient donc, non seulement le responsable des réussites scolaires (tel que le souligne Lupo), mais aussi le responsable de tout ce qui concerne l'apprentissage de l'élève.

En tant qu'enseignants, nous nous interrogeons sur les changements à apporter, pour faire en sorte que l'étudiant s'intéresse à son apprentissage, pour que sa motivation ne soit plus basée sur sa réussite dans le cours, mais plutôt sur son apprentissage de la langue cible. Que faire pour susciter chez l'élève la curiosité d'apprendre qui l'habitait dans ses premières années scolaires :

Le jeune enfant est curieux, avide de découvrir, avide de connaître, avide de résoudre des problèmes. Ce qu'il y a de triste et de pénible dans la plupart des systèmes d'éducation, c'est que lorsque l'enfant a passé un certain nombre d'années à l'école, cette motivation spontanée se trouve pratiquement étouffée. Mais le fait est là, et c'est notre tâche à nous, facilitateurs d'apprentissage, de débloquer cette motivation, de découvrir quels défis touchent vraiment les jeunes, et de fournir à ces jeunes l'occasion de les relever. (C. Rogers, 1984 :20)

La didactique des langues nous donne des réponses, voire des alternatives, pour aborder ces problèmes-là. C. Rogers (1969), qui a analysé en profondeur ces contraintes d'apprentissage, nous fait remarquer que, afin de redonner à l'apprenant le goût d'apprendre, l'essentiel est de le confronter avec un problème qu'il perçoit comme réel pour lui. D'après l'auteur, il peut s'agir, par exemple, d'un intérêt pour un aspect spécifique de la branche enseignée, l'important est qu'il ait une confrontation. Selon Rogers, cette confrontation va éveiller l'intérêt de l'étudiant vis à vis de son apprentissage, car les données auront du sens pour lui. Par ailleurs, Barbot (1990) nous propose d'essayer de changer le concept de détention du pouvoir dans les relations enseignant-apprenant:

Il est permis de faire l'hypothèse que l'on peut sortir de situations bloquées et réactiver le désir d'apprendre en modifiant les positions des partenaires dans la transmission des connaissances. (J. M. Barbot, 1990:93)

Ces deux idées sont à l'origine d'une méthodologie peu exploitée dans la pratique pédagogique. Néanmoins, et selon les recherches faites sur cette approche (Dahmen 1988, Dam et Gabrielsen 1988, Germain-Rutherford 1994, Leblanc et Painchaud 1990, Lupo 1988 et Moulden 1983), elle s'est avérée particulièrement efficace pour faciliter l'apprentissage des langues étrangères. Dans les pages qui suivent nous décrirons cette méthodologie connue aujourd'hui, entre autres, sous le nom d'apprentissage en autonomie [4] et dont les origines remontent aux années soixante.

II. Qu'est-ce que l'apprentissage en autonomie?

Il résulte de ce qui précède que l'apprenant, selon Rogers, est susceptible de s'intéresser à accomplir une tâche ou à participer à une activité à partir du moment où il se sent impliqué. En outre, Barbot nous recommande, dans l’intention de susciter l'intérêt de l'apprenant, «de modifier les positions des partenaires dans la transmission des connaissances.» Nous retrouvons ces deux principes pédagogiques dans un apprentissage en autonomie, méthode qui fait l'objet de notre travail. Nous avons retenu la définition du concept "d'autonomie" suggérée par Holec; l'auteur cite B. Schwartz [5] pour illustrer ses propos:

L'autonomie, est "la capacité de prendre en charge la responsabilité de ses propres affaires". Dans le contexte, qui est le nôtre, de l'apprentissage des langues, l'autonomie est donc la capacité de prendre en charge son propre apprentissage. Cette capacité n'est pas innée, elle doit s'acquérir, soit de manière "naturelle", soit (c'est le cas le plus fréquent) par un apprentissage formel, c'est-à-dire systématique et réfléchi. (Holec, 1979 :31).

Selon Holec, afin de prendre en charge son apprentissage l'apprenant doit assumer toutes les décisions ayant trait à tous les aspects de celui-ci. L'auteur nous parle de modalités pratiques des prises de décision, (Holec, 1979:105) ces modalités d'apprentissage se définissant par des opérations que l'apprenant prendra en charge, à savoir: la détermination des objectifs, la définition des contenus et des progressions, la sélection des méthodes et techniques, le contrôle du déroulement de l'acquisition, l'évaluation de l'acquisition. Dans les pages qui suivent, nous décrirons ces modalités d'apprentissage, en nous inspirant des écrits des spécialistes.

1.1 La détermination des objectifs

Habituellement, l'institution, ou bien l'enseignant, est responsable de déterminer les objectifs d'apprentissage. Ces derniers déterminés d'après ce que les enseignants considèrent comme étant des connaissances importantes que l'apprenant devrait acquérir. La compétence du locuteur natif est non seulement le modèle à suivre, mais elle est aussi perçue comme le but à atteindre. Ces objectifs, établis avant le début des cours, seront les mêmes pour tous les apprenants, ceci dans le cadre d'un cours ou d'un programme d'une durée déterminée, encore une fois, par l'institution.

Or, dans un apprentissage en autonomie c'est l'apprenant qui détermine ses propres objectifs d'apprentissage, ceci selon une compétence qu'il va lui même définir en fonction de ses besoins personnels. Holec nous fait remarquer que ces besoins peuvent aller d'une simple volonté de vouloir comprendre les émissions boursières dans la langue cible ou de vouloir lire vite dans cette langue seconde. Les objectifs que l'apprenant se fixera auront comme but un comportement verbal qu'il adoptera dans des situations de communication le concernant exclusivement. L'apprenant décidera de ce qui lui est indispensable, secondaire ou inutile pour atteindre ses buts. Il faut tenir compte du fait que les objectifs ne sont pas déterminés pour de bon, c'est-à-dire qu'ils sont modifiables. L'apprenant pourra les changer ou les remplacer, soit parce qu'il a déjà franchi le seuil visé, soit parce qu'en cours de route il s'est rendu compte que ses objectifs sont devenus inaccessibles. Les raisons peuvent être diverses, par exemple, une offre d'emploi pour laquelle on exige certaines compétences, etc. Aussi selon H. Holec, «la prise en charge de la définition d'objectifs par l'apprenant à pour conséquence la prise en compte de dimensions à pertinence personnelle et parfois unique.» (Holec, 1979:106)

1.2 La définition des contenus et des progressions

Traditionnellement, dans un enseignement institutionnel, les contenus et les progressions sont définis par les enseignants. Pour ce qui est des contenus, leur définition est souvent faite en termes de lexique, de grammaire et de phonologie. Les professeurs se basent sur une seule norme: ils donnent la priorité à une seule façon de parler (caractéristique d'une région spécifique), à un seul niveau ainsi qu'à un seul registre de la langue cible. Holec nous signale que l'approche est "globaliste", c'est-à-dire que les mêmes contenus vont servir pour l'apprentissage de la compréhension orale et écrite et de l'expression orale et écrite on ne fait donc aucune distinction entre ces différents types d'apprentissage et les façons de les aborder. Quant aux progressions, elles sont déterminées en fonction du contenu linguistique et des priorités thématiques que l'enseignant a programmées pour le cours. Selon l'auteur, dans un apprentissage dirigé les progressions sont assez lentes.

Par contre, dans un apprentissage autodirigé (apprentissage en autonomie) la définition des contenus et des progressions concerne avant tout l'apprenant. Celui-ci devra définir ses propres contenus qui seront en harmonie avec les objectifs qu'il aura précisés auparavant. Holec nous apprend qu'il y a deux caractéristiques fondamentales de la définition des contenus par l'apprenant dont la première est que l'apprenant devra privilégier le contenu thématique de la communication visée. Voici les propositions que l'apprenant devrait formuler :

En ce qui concerne le choix de la norme, il sera défini en fonction des interlocuteurs, du contenu thématique et du mode de communication privilégié: la compréhension, l'expression, soit les deux.

La deuxième caractéristique fondamentale de la définition des contenus par l'apprenant est que ce dernier va créer ses propres contenus. Dans cette intention il analysera les sources auxquelles il pourra avoir accès, à savoir: des textes écrits, des enregistrements sonores et vidéo, des films, des bandes dessinées, des dictionnaires, des grammaires et également des documents didactiques, des documents authentiques et même des locuteurs natifs. La prise en charge par l'apprenant de la définition des contenus lui permet de combiner son apprentissage avec ses intérêts. Par exemple, les domaines de spécialisation ou interrogations d'ordre culturel. Pour ce qui est des progressions, elles seront déterminées en fonction des priorités communicatives et thématiques de l'apprenant, dans un système d'apprentissage autodirigé les progressions sont assez rapides.

1.3 La sélection des méthodes et techniques

Dans l’intention de sélectionner les méthodes et les techniques qui s'accordent le mieux avec ses objectifs d'apprentissage, l'apprenant devra avoir recours à toutes les ressources disponibles. Holec attire notre attention sur les méthodes et techniques dont l'apprenant peut se servir:

étant donné que l'apprenant connaît bien ses objectifs d'apprentissage et qu'il évalue son progrès, une fois il aura utilisé une telle méthode ou une telle autre technique il sera en position de formuler des hypothèses sur leur bon ou leur mauvais rendement. De cette façon, il pourra déterminer leur degré d'efficacité et procédera à adopter celles qui lui conviendront le mieux selon ses objectifs. En outre, l'apprenant veillera à ce que les méthodes ou techniques favorisées s'accordent bien avec les contraintes de sa situation d'apprentissage: distribution du temps disponible, contraintes spatiales, matérielles, temporelles, etc. Il faudra également que l'apprenant tienne compte de sa personnalité, il doit savoir s'il est très persévérant, s'il possède une bonne mémoire, s'il est patient, etc.

1.4 Le contrôle du déroulement de l'acquisition

Le déroulement de l'acquisition concerne d'une part, les dimensions spatiales et temporelles (les lieux, les horaires, le rythme, les moments) et d'autre part, la disponibilité psychologique et intellectuelle de l'apprenant (fatigue, soucis, etc.). D'après les écrits, le rythme d'apprentissage, la vitesse d'acquisition ainsi que le meilleur moment pour apprendre varient d'un individu à l'autre. La prise en charge par l'apprenant de cette modalité d'apprentissage implique qu'il décidera du moment de son apprentissage et de la période de temps à lui consacrer. L'apprenant pourra donc ajuster son rythme d'apprentissage à son rythme d'acquisition. Holec nous fait remarquer que la prise en charge du rythme d'apprentissage consiste en:

déterminer quel aspect de l'apprentissage doit être initié, poursuivi, ou interrompu à quel moment, en tenant compte de paramètres tels que la vitesse d'intégration des connaissances, la nécessité de varier les activités d'apprentissage, la nécessité d'équilibrer l'apprentissage, etc. (H. Holec, 1981 :55)

1.5 L'évaluation de l'acquisition

Avant d'amorcer la définition de l'évaluation de l'acquisition il est nécessaire de faire une distinction entre l'évaluation et la certification. En ce qui concerne la certification, il faut d'abord comprendre qu'elle a lieu dans un apprentissage dirigé et qu'il s'agit d'une appréciation des connaissances de l'apprenant; cette appréciation extérieure vise particulièrement à l'obtention des qualifications ou d'un diplôme. La participation de l'apprenant est limitée à décider s'il veut ou non diriger son apprentissage vers une certification. Holec nous fait remarquer qu'il faut éviter que la réussite lors d'une certification ne devienne la cible de l'apprentissage.

Dans un système d'apprentissage en autonomie l'apprenant est libre de choisir la façon d'évaluer ses connaissances; la certification n'est donc pas obligatoire pour l'apprenant autonome. La didactique des langues présente d'autres alternatives pour ce qui est de l'évaluation de l'acquisition. D'après les écrits sur lesquels nous nous sommes appuyés, on distingue deux types d'évaluation, externe et interne. L'évaluation externe, qui est mise en oeuvre une fois que l'apprenant a atteint ses objectifs, a comme but de mesurer les acquisitions de celui-ci par rapport au contenu de l'apprentissage. Les critères pour ce type d'évaluation, par ailleurs définis par l'institution ou l'enseignant, sont absolus ce qui permet à l'apprenant de situer ses acquisitions par rapport à celles d'autres apprenants. La liberté de l'apprenant à l'égard de l'évaluation de son apprentissage est encore très restreinte: il devrait pouvoir se procurer les tests ou les instruments d'évaluation ainsi que les grilles de correction qui les accompagnent, ce qui lui permettra de vérifier ses résultats. De plus, il pourra décider s'il veut ou non se soumettre a ce genre d'évaluation.

Quant à l'évaluation interne, elle constitue l'un des aspects principaux du processus d'autoapprentissage. Cette évaluation se situe au même niveau que les opérations déjà prises en charge par l'apprenant: détermination des objectifs, définition des contenus et des progressions, sélection de méthodes et techniques et contrôle du déroulement de l'acquisition. L'objectif principal d'une telle évaluation interne est que l'apprenant évalue lui même ses acquisitions de la langue cible dans l'intention de vérifier si celles-ci correspondent aux acquisitions qu'il visait. Cette évaluation lui permettra de juger des progrès qu'il aura accomplis. Henri Holec, dans son article sur le déroulement de l'acquisition, a clairement expliqué l'évaluation que nous venons de décrire:

Il s'agit donc d'une évaluation qui a pour fonction, non pas comme l'évaluation externe, de situer l'apprenant par rapport à une certaine compétence linguistique déterminée en termes de contenus à maîtriser [6] ou par rapport aux autres apprenants mais de déterminer le degré de conformité du résultat d'une acquisition par rapport à son objectif. (H. Holec, 1979 :157)

La prise en charge par l'apprenant de l'évaluation de ses acquisitions ainsi que de celle de son apprentissage [7], pour lequel il a déjà assumé la responsabilité, constitue ce que les didacticiens dénomment comme une véritable autoévaluation. Comme le fait remarquer l'auteur, cette autoévaluation se caractérise fondamentalement parce qu'elle intègre la dimension spécifique de l'apprenant. (Holec,1979 :158) Quant aux critères d'évaluation, c'est l'apprenant qui les détermine d'après ce qu'il estime important pour une communication ou pour une production réussies. Ces critères que nous venons de décrire sont par conséquent étroitement liés à la compétence personnelle visée par l'apprenant.

1.5.1 L'évaluation de l'apprentissage

Selon Holec (1981 :56), l'évaluation de l'apprentissage en tant que tel consiste à apprécier les résultats de la prise en charge des opérations de définition de l'apprentissage. Dans les paragraphes ci-dessous nous expliquerons, de manière très succincte et en nous appuyant toujours sur les écrits, en quoi consiste cette évaluation de l'apprentissage vis-à-vis des opérations qui le définissent, à savoir: détermination des objectifs, définition des contenus et des progressions, sélection des méthodes et techniques, contrôle du déroulement de l'acquisition et évaluation de l'acquisition.

Quant à la détermination des objectifs, l'apprenant devra s'assurer qu'ils ont été bien établis. L'évaluation qu'il fera de ses connaissances acquises à l'égard de ses connaissances visées, l'aidera à vérifier s'il a bien traduit ses besoins en objectifs terminaux et si les objectifs intermédiaires qu'il s'est fixé lui permettent de progresser vers ces objectifs terminaux.

Pour ce qui est de la définition des contenus et des progressions, l'apprenant veillera particulièrement à ce que le choix de contenus soit satisfaisant. Grâce aux résultats de l'évaluation de son acquisition l'apprenant sera en mesure de repérer d'éventuelles discordances entre ses objectifs et ses contenus.

En ce qui concerne la sélection des méthodes et techniques, l'apprenant pourra juger s'il est nécessaire de modifier ses choix d'après son appréciation du rendement des méthodes ou techniques favorisées. Ces appréciations seront par exemple, en termes du rapport acquisition/temps investi, en termes du plaisir ou de l'ennui qu'inspirent les méthodes.

Le contrôle et le déroulement de l'acquisition - l'apprenant devra s'interroger sur les décisions qu'il a prises à propos des lieux, des temps et des rythmes d'apprentissage dans le but de déterminer leur pertinence. Selon Holec (1981:57), l'appréciation du "rendement" de chaque séance d'apprentissage combinée à l'évaluation de l'acquis permettra de se rendre compte d'erreurs éventuelles.

Quant à l'évaluation de l'acquisition, l'apprenant cherchera à savoir si sa manière de s'évaluer a été la meilleure possible. L'auteur signale que l'apprenant a deux façons de vérifier ceci :il peut prendre du recul et reprendre son évaluation après un certain temps, ou bien il peut chercher d'autres "retours" en ayant recours à un enseignant ou à un locuteur natif, l'important est que l'apprenant ne remplace pas l'information des ressources par la sienne.

Dans les paragraphes qui précèdent nous nous sommes attardés sur la description des opérations grâce auxquelles sont définies les modalités pratiques des prises de décision proposées par la didactique des langues. Nous avons constaté l'intervention directe de l'apprenant dans ces modalités d'apprentissage. Nous avons également observé que la prise en charge par l'apprenant de chacune de ces opérations de définition de l'apprentissage se manifeste extraordinairement évolutive; l'apprenant a la liberté de remettre en question les objectifs, les contenus, les méthodes, les techniques, etc. autant de fois qu'il lui semble opportun de le faire. L'auteur attire notre attention sur le fait:

La prise en charge des opérations de définition de l'apprentissage peut évoluer qualitativement dans le temps au fur et à mesure que l'apprenant développe sa capacité de la réaliser: une prise en charge aussi "parfaite" que possible ne constitue donc pas un pré-réquis pour s'engager dans un apprentissage auto-dirigé. (Holec, 1981 :58 )

Il est important de signaler qu'afin que l'apprenant prenne en charge son apprentissage, il faut d'abord qu'il arrive à posséder cette capacité de prise en charge. étant donné que jamais auparavant l'apprenant n'a eu autant de liberté, de pouvoir et de responsabilité sur son apprentissage, il est fort probable qu'il ait besoin d'être formé à ce sujet [8]. Selon les écrits sur lesquels nous nous sommes basés, il est nécessaire d'entraîner l'apprenant à l'autonomie. Dans les paragraphes qui suivent nous expliquerons la façon dont l'apprenant peut être préparé pour prendre en charge progressivement son apprentissage.

2. L'acquisition de l'autonomie

Avant toute chose, il faut tenir compte du fait que dans un apprentissage en autonomie le rapport apprenant/apprentissage est, plus que modifié, totalement transformé. La situation d'apprentissage dans laquelle l'apprenant a fonctionné pendant des années, où son apprentissage dépendait de l’ « expert », du professeur qui possédait toutes les notions et toutes les compétences pour lui apprendre la langue. Mais cet « expert » n'existe plus. Dans un apprentissage autodirigé, l'apprentissage peut, comme nous l'avons déjà défini, être pris en charge par l'apprenant. Or, l'apprenant doit savoir comment s'y prendre, il ne deviendra pas autonome du jour au lendemain, juste parce qu'il l'a ainsi décidé ou parce qu'on le lui à demandé. L'apprenant doit s'entraîner pour acquérir cette autonomie.

Holec (1979), signale qu'il y a deux conditions sine qua non pour que l'apprenant puisse prendre en charge son apprentissage: que l'apprenant soit prêt à l'assumer et qu'il soit capable de l'assumer (Holec, 1979:116).

Pour ce qui est de la première condition l'auteur cite Schwartz pour l'expliquer:

En ce qui concerne la première condition, il faut souligner, avec B. Schwartz [9], que « Au niveau éducatif, dans les sociétés actuelles, la participation doit être au départ objet d'apprentissage: elle ne va pas de soi et ne représente pas, d'une manière générale, la réponse à une aspiration spontanée. » (H. Holec, 1979 :116)

En outre, Holec signale que comme résultat du caractère directif de l'enseignement, beaucoup d'apprenants se trouvent paralysés par les activités demandant leur participation. Par ailleurs, l'auteur précise que ces remarques peuvent s'appliquer également à la deuxième condition. Il est donc clair : pour la plupart des étudiants l'autonomie doit s'acquérir. Cette acquisition exige deux processus distincts: un processus de « déconditionnement » progressif qui conduira l'apprenant à se libérer et un processus d'acquisition des savoirs et savoir-faire dont il a besoin pour prendre en charge son apprentissage. (Holec, 1979:117)

En ce qui concerne le premier processus, le « déconditionnement » progressif, ce processus va mener l'apprenant à se libérer de toutes les idées et clichés qui pourraient nuire à son apprentissage en autonomie, par exemple, se libérer de l'idée que les professeurs détiennent la seule méthode idéale pour enseigner les langues et que lui, en tant qu'apprenant, ne peut jouer qu'un rôle passif dans son apprentissage, se délier de l'idée que sa langue maternelle ainsi que son expérience d'apprentissage dans d'autres disciplines ne lui serviront à rien dans son apprentissage d'une langue étrangère et se défaire aussi de la pensée qu'il ne pourra jamais juger sa performance dans la langue cible.

Quant au deuxième processus, celui d'acquisition progressive d'un savoir-faire, l'auteur souligne que l'apprenant devra apprendre graduellement à se servir des outils avec lesquels il travaillera, par exemple, les dictionnaires, les grammaires, etc. L'apprenant devra également apprendre à ressembler et à analyser un corpus et à traduire ses besoins et ses attentes en termes d'objectifs, ce qui implique la découverte de catégories d'analyse. En outre l'apprenant devra apprendre à analyser ses performances. Finalement Holec (1979) déclare que:

C'est par l'opération parallèle de ces deux processus que progressivement l'apprenant passera d'une situation de dépendance à une situation d'indépendance, de l'état de non-autonome à celui d'autonome. (Holec, 1979 :117)

Dans les paragraphes précédents nous avons illustré les conditions nécessaires pour que l'apprenant devienne autonome, néanmoins pour qu'elles puissent exister dans un cadre académique il faut un enseignement légèrement différent. Le professeur vient donc jouer un rôle capital dans cet enseignement favorisant l'acquisition de l'autonomie. Dans les paragraphes suivants, nous dépeindrons brièvement le rôle du professeur dans ce nouveau contexte d'enseignement.

3. Le nouveau rôle de l'enseignant

Le nouveau rôle de l'enseignant dans un apprentissage en autonomie consiste principalement à être le soutien de l'apprenant lors de son apprentissage et à l'aider à découvrir les outils nécessaires à son autonomisation. Ce qui implique que plutôt que d'enseigner la langue cible à l'apprenant, l'enseignant va lui montrer comment l'apprendre.

Selon les auteurs qui se sont prononcés à ce sujet, l'enseignant devra découvrir des procédures qui lui permettent de transformer son enseignement traditionnel en un enseignement autonomisant. La didactique des langues présente des indices sur la façon d'opérer ce changement, cependant il serait souhaitable que chaque enseignant développe ses propres stratégies à ce propos. Rogers, écrit à ce sujet:

Lorsqu'un professeur s'attache plus à faciliter l'apprentissage qu'à fonctionner comme enseignant, il organise son temps et répartit ses efforts d'une manière qui diffère beaucoup de celle du professeur traditionnel. Au lieu de consacrer de longues périodes de temps à organiser son cours et à préparer ses leçons, il s'efforce de réunir les différents moyens qui permettront à ses étudiants de faire un apprentissage expérientiel approprié à leurs besoins. (Rogers, 1984:20)

Selon Holec (1983), il est important que l'enseignant fasse savoir aux élèves que leur participation est essentielle et nécessaire pour les activités d'apprentissage programmées pour la classe et qu'ils sont capables de se responsabiliser, partiellement ou totalement, par rapport au bon déroulement des activités. Il est aussi conseillé que le professeur consacre quelques minutes du cours (5 à 15 minutes) à l'acquisition de l'autonomie. Cet espace servira à expliquer aux étudiants quels sont les buts des activités proposées. De cette manière les étudiants sauront ce qu'ils font, pourquoi ils le font et pourquoi ils le font de telle ou telle autre manière. Dans la mesure où l'étudiant sera informé sur l'enseignement il saura ce qu'il faut faire pour prendre en charge son apprentissage.

Par ailleurs, il est capital que l'enseignant prenne le temps de parler en classe du fonctionnement externe des langues. Il pourrait, par exemple, expliquer en quoi consiste la compréhension orale, ou bien parler du comportement de la langue maternelle dans un cas particulier. Ces explications de la part du professeur deviennent des outils précieux pour les apprenants qui visent l'autonomie. Le professeur doit également encourager toute initiative de travail personnel en dehors des heures de cours. Tel que le soutient Holec (1983: 129), le but est de démythifier l'enseignement dans la représentation que l'apprenant en a.

Bref, il s'agit de développer graduellement, par la pratique, les capacités des apprenants. Il faut également les initier à l'évaluation et à l'autoévaluation, en prenant bien soin de ne pas prendre de décisions à leur place, de ne pas penser que son alternative ou sa suggestion est meilleure en quelque sorte que celle proposée par l'apprenant. L'objectif est que l'apprenant prenne ses propres décisions. Finalement, Holec (1983) signale que, dans un système scolaire, c'est par la participation que l'apprenant peut être amené à acquérir des comportements autonomes et en même temps valoriser l'importance de son rôle et de son engagement personnel dans son apprentissage.

Dans la partie qui suit, nous présenterons une activité pédagogique qui a comme but d'initier les étudiants à un enseignement/apprentissage partiellement autonome. étant donné les contraintes des milieux institutionnels, les exigences de type traditionnel : l’enseignement et l’apprentissage régis par les horaires, le temps, les lieux « institutionnels », les certifications et les contenus qu'il faut respecter, etc., un apprentissage totalement autonome n'a malheureusement pas encore de place dans les contextes scolaires. Cependant, les principes de cet enseignement peuvent être enseignés et appris en salle de classe dans l'intention de développer chez les étudiants des comportements autonomes et dans l'espoir d'arriver à intégrer cet apprentissage dans la pratique pédagogique et éventuellement dans le système d'éducation.

III. Le concept d'autonomie dans un milieu institutionnel

Dans l'intention d'incorporer le concept d'autonomie en salle de classe, nous présenterons, comme exemple, une activité pédagogique qui mènera l'étudiant à faire ses premiers pas sur le chemin de l'autonomisation. Notre public visé est composé d'une quinzaine d'étudiants universitaires, ayant un niveau intermédiaire de français langue étrangère. Leur langue maternelle est l'espagnol ; notre cadre, l'Université de Porto Rico. Ces étudiants se réuniront en classe pendant cinquante-cinq minutes par jour, cinq fois par semaine. En outre, ils assisteront à un laboratoire de langues "vivant" où, divisés en petits groupes de quatre ou cinq, ils feront de la conversation avec un francophone, ceci pendant trente minutes par jour, cinq fois par semaine. L'activité que nous proposons aura une durée d'un semestre universitaire.

Nous entamerons l'apprentissage en autonomie à l'aide d'un outil qui nous semble indispensable pour l'apprenant autonome: l'Internet [10]. Les raisons qui nous poussent à faire ce choix sont les suivantes: l'Internet, à notre avis, est un outil précieux qui met à la portée de l'étudiant d'innombrables ressources. Les sites francophones s'avèrent très efficaces pour ce qui est de l'apprentissage en autonomie. [11] Ces sites offrent de grandes possibilités pour les apprenants qui n'habitent pas le pays où la langue cible est parlée. Grâce à l'Internet, ils peuvent se procurer des documents authentiques de toutes sortes (des articles de journaux, des bandes dessinées, des textes gouvernementaux, etc.). Ils peuvent également communiquer avec des locuteurs natifs, soit oralement soit par écrit. Par ailleurs, il y a des sites où l'on propose non seulement de corriger la grammaire [12], l'orthographe [13] et le style des phrases françaises faites par l'apprenant, mais aussi d'articuler le son [14] de ces mêmes phrases. Les apprenants pourront donc développer plusieurs compétences à l'aide de l'Internet. Il faut cependant les guider dans leur apprentissage afin d'éviter que celui-ci ne repose uniquement sur le maniement des outils informatiques. Dans l’intention de guider les apprenants dans leur exploration de l'Internet nous proposons d'utiliser ici les chansons francophones.

Nous avons décidé de travailler avec les chansons francophones [15], non pas exclusivement françaises, de cette façon l'étudiant sera en contact avec différents parlers de la langue cible. Il ne sera plus question ici de ne traiter que d'un seul registre de la langue ou de se limiter à un seul niveau de la langue cible, comme il est souvent le cas dans l'enseignement dirigé. Notre activité offrira aux étudiants l'occasion de sélectionner par eux-mêmes le niveau de langue à travailler, le style, l'accent, etc. . Leur choix va être basé sur leurs intérêts personnels. Cette façon de procéder est à la base des principes de l'autonomie que nous désirons développer chez nos étudiants.

Nous privilégierons le thème les saisons de l'année dans la chanson francophone. L'Internet nous offre un éventail de possibilités [16] à ce sujet. Ce thème est souvent présent dans les chansons, il est cependant abordé différemment selon le pays dont la chanson est originaire. Par exemple, l'hiver n'évoquera sûrement pas les mêmes souvenirs pour un Canadien francophone que pour un Français ou pour un Guadeloupéen. Il est important de signaler que notre objectif n'est pas exclusivement de trouver les mots printemps, été, automne, hiver littéralement dans les paroles des chansons, bien que ce soit souvent le cas, mais aussi de travailler avec les mots analogues aux saisons, tels neige, froid, plage, soleil, sable, feuilles, fleurs, etc.

Le tableau ci dessous présente les différents objectifs que nous visons lors de cette activité pédagogique.

Tableau 1. Objectifs de l´activité pédagogique
Objectifs d'acquisition de l'autonomie Objectifs d'apprentissage
Motiver l'apprenant à prendre en charge son apprentissage en lui donnant l'occasion de travailler selon ses intérêts personnels. Développer la compréhension orale en français langue étrangère.
Montrer à l'apprenant des outils dont il peut se servir pour prendre en charge son apprentissage. Habituer l'oreille aux différents accents de la langue cible.
Libérer l'apprenant des idées reçues à propos de l'importance de sa participation dans son apprentissage. Familiariser l'apprenant avec le monde francophone.
Donner la liberté à l'apprenant de travailler selon son rythme. Conscientiser l'élève de l'importance de l'aspect culturel des mots
Développer chez l'apprenant des stratégies de recherche. Accroître le vocabulaire réceptif [17] de l'apprenant
Donner à l'apprenant des indices sur la façon d'apprendre la langue cible. Susciter la conversation en langue cible

Voici la démarche proposée pour notre activité pédagogique.

Nous viserons, entre autres, la compréhension orale dans ces chansons ayant en commun le thème des saisons, pour ce faire nous demanderons aux étudiants, qui travailleront en groupes de deux ou trois maximum, d'accomplir plusieurs tâches dont la première sera d'aller explorer sur l'Internet des sites ou des forums à ce sujet. Dans l'intention d'accomplir cette tâche nous proposerons aux étudiants de consacrer une période de cinquante minutes, ceci une fois par semaine durant quatre semaines. Cette période de temps pourra varier en fonction des besoins des apprenants. Il se pourrait, par exemple, que cette période s'avère trop courte pour ceux qui n'auront pas d'expérience préalable dans l'informatique. Il faudrait signaler que les étudiants seront encouragés à travailler par eux-mêmes en dehors des heures de cours. Une fois que les étudiants auront accompli cette tâche préliminaire, nous discuterons en classe de leurs découvertes sur le Web [18] et chaque groupe présentera la chanson sélectionnée, l'auteur et le pays d'origine de celui-ci, ceci en français langue étrangère.

La deuxième étape de notre activité consiste à demander aux élèves d'identifier les mots qui, d'après eux, sont essentiels à la compréhension de la chanson, ceci dans l’intention de discuter sur l'importance des mots pour l'écoute. Notre intention sera de leur faire découvrir des stratégies pour repérer ces mots cruciaux. Dans ce but nous pouvons, par exemple, leur apprendre qu'il existe des mots marqués par une charge culturelle et que, bien souvent, selon le contexte entourant le mot, ces mots auront des significations culturelles qui seront tout à fait différentes de leur(s) signification(s) purement lexicale(s).

Nous parlons ici de la distinction que fait Galisson par rapport à ce genre de mot:

Je postule que les mots de ce type doivent faire l'objet d'une étude approfondie. J'appelle "Charge Culturelle Partagée" (C.C.P.!) la valeur ajoutée à leur signification ordinaire et pose que l'ensemble des mots à C.C.P. connus de tous les natifs, circonscrit la lexiculture partagée. Laquelle est toute désignée pour servir de rampe d'accès à la culture omniprésente dans la vie des autochtones et que les étrangers ont tant de mal à maîtriser. (Galisson, 1987 :128)

En nous servant de cette définition, nous pourrons, par exemple, prévenir les apprenants du fait que pour pouvoir comprendre le texte il faut savoir comment ces mots à C.C.P. se définissent selon le contexte d'une telle chanson. étant donné que la définition aura une valeur culturelle, ce qui implique une culture différente de celle de l'apprenant, il s'avère nécessaire de faire appel aux personnes provenant de la culture en question. C'est notre idée de départ, nous enverrons donc les étudiants sur le Web pour qu'ils trouvent les moyens de définir ces mots à C.C.P. Nous sommes déjà à la troisième étape de notre activité.

Nous nous attendons à ce qu'il y ait des apprenants qui développent vite leurs stratégies de recherche et qu'il y ait d'autres qui travaillent à un rythme plus lent. Nous, en tant que facilitateurs d'apprentissage, serons là pour guider les apprenants en quelque sorte, pour les assister, pour les aider à découvrir leurs propres stratégies, sans vouloir imposer notre avis et valorisant toujours leurs initiatives. éventuellement, quand les étudiants le décideront, nous discuterons en classe de leurs recherches auprès de natifs contactés par l'Internet. Nous serons déjà à la dernière étape de notre activité. Nous continuerons à travailler de cette façon-là au cours du semestre, jusqu'à ce qu'il y ait des étudiants qui s'aventurent à proposer des modifications et même, nous l'espérons bien, des changements.

Nous voulons signaler que cette activité peut être adaptée pour d'autres publics, selon les besoins des apprenants y participant.

Conclusion

Dans ce travail nous avons abordé un certain nombre d'aspects concernant, tout particulièrement l'enseignement institutionnel des langues étrangères, l'apprentissage en autonomie, les moyens proposés par la didactique des langues pour faciliter l'apprentissage en autonomie ainsi que le rôle de l'apprenant et celui de l'enseignant dans un tel apprentissage.

Dans un premier temps, nous avons constaté que, de nos jours, l'enseignement des langues étrangères en milieu institutionnel privilégie les méthodes visant l'aspect linguistique de la langue au détriment de l'aspect communicatif. Cet enseignement s'avère peu motivant pour les étudiants.

Dans un deuxième temps, nous avons observé que l'apprentissage en autonomie se révèle comme une excellente alternative pour l'enseignement des langues étrangères. Les moyens proposés par la didactique de langues pour faciliter cet apprentissage permettent à l'apprenant d'assumer toutes les responsabilités concernant son apprentissage. L'apprenant autonome est un apprenant qui connaît comment apprendre la langue cible d’après ses propres critères. Par ailleurs, nous avons remarqué que les nouvelles conceptions des relations apprenant/apprentissage et enseignant/apprenant, que présente ce système, exigent une formation particulière à ce sujet. Le rôle de l'apprenant change, il devient un apprenant chercheur. Le rôle de l'enseignant s'affecte aussi, il devient facilitateur.

Dans un troisième temps, nous avons illustré une manière, parmi tant d'autres, d'introduire les principes de cet enseignement en salle de classe. Nous avons proposé l'apprentissage en autonomie à l'aide d'un outil qui s'avère indispensable pour l'apprenant autonome: l'Internet. Seule une meilleure connaissance des travaux portant sur l'apprentissage en autonomie pourrait faciliter la diffusion en classe des moyens proposés par la didactique de langues. Nous espérons avoir contribué par le biais de ce travail à réduire, en quelque sorte, la distance existant entre la recherche et la pratique dans la salle de classe. Nous encourageons les professeurs de langues et les étudiants à se renseigner sur les recherches concernant particulièrement l'apprentissage en autonomie. Nous faisons également un appel aux chercheurs afin qu'ils incluent dans leurs travaux des informations pertinentes sur la création des activités pédagogiques pratiques à partir des connaissances théoriques.

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Notes

[1] Nous faisons allusion au titre de l'article de Janine Courtillon (1997), L'enseignement des langues peut-il échapper à la routine? Regresar

[2] Nous pensons ici aux recherches de: Dahmen, M. (1988) et Germain-Rutherford (1994, 1996). Regresar

[3] Nous pensons ici aux notions développées par Richterich; évoquées par Germain-Rutherfod (1994). Regresar

[4] Il serait pertinent de signaler que nous avons décidé d'adopter pour le présent travail l'expression proposée par H. Holec (1979), apprentissage en autonomie. Or, l'auteur souligne qu'afin d'éviter toute ambiguïté il vaudrait mieux se servir de l'expression apprentissage autodirigé. Regresar

[5] B. Schwartz, L'éducation de demain. Regresar

[6] L'auteur cite L. Porcher pour illustrer ses propos. Regresar

[7] L'évaluation de l'apprentissage est définie dans la section 1.5.1Regresar

[8] Voir citation de Holec (1979) à ce sujet p. 10Regresar

[9] B. Schwartz (1977) Éducation permanente, rapport final, 1977. Regresar

[10 Interconnected Networks. Regresar

[11] Nous pensons ici, notamment, aux articles de: M.J. Barbot et L. Bazin (1996), Multimédia/le droit à l'autonomie, et de C. Vera Pérez (1997), Des sites au service de la classe. Regresar

[12] http://www.cam.org/˜mozart/criket/html. Regresar

[13] http://www.montefiore.ulg.ac.be/˜bronne/pivot/trucs.html. Regresar

[14] http://ophale.icp.grenet.fr/exFr.html. Regresar

[15] La Francophonie, avec un petit f, désigne généralement l'ensemble des peuples ou des groupes de locuteurs qui utilisent partiellement ou entièrement la langue française dans leur vie quotidienne ou leurs communications, L'Année francophone internationale 1997, AFI. Regresar

[16] http://ourworld.compuserve.com/homepages/bwoolley, http://www.ircam.fr, http://www.pandemonium.fr:80/expo/adocson/, http://www.ecp.fr/˜vambeng7/brel.html, http://www.ina.fr/Music/Regresar

[17] Il serait convenable de signaler que, selon Channel 1988, il faut tenir compte du fait que pour les locuteurs natifs, de même que pour les apprenants (L2), un grand nombre de mots font partie de la compétence réceptive mais ne feront jamais partie de la compétence productive. L'acquisition des mots du vocabulaire comporte tout d'abord la compréhension et ensuite, pour quelques mots, la compréhension plus la production. Regresar

[18] World Wide WEB. Regresar

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